«Amaluna» du Cirque du Soleil – Bible urbaine

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«Amaluna» du Cirque du Soleil

«Amaluna» du Cirque du Soleil

Le paon amoureux

Publié le 26 avril 2012 par Jim Chartrand

Crédit photo : Jim Chartrand

Tel un paon, Amaluna, le nouveau spectacle du Cirque du Soleil, pose beaucoup et s'il semble agir que très peu, une fois sa parure déployée, il n'est plus question que d'une chose: être sous une totale admiration. Nul doute donc que dans toutes ses forces et faiblesses, Guy Laliberté et son équipe ont encore frappé juste!

Le tout s’inspire librement de la Tempête de Shakespeare et raconte rondement l’histoire d’amour qui se tisse entre la jeune fille d’une île déserte gouvernée par des femmes et l’un des naufragés d’un bateau qui a échoué.

Spectacle de force et de beauté, épousant le style théâtral qu’ils ont toujours préférablement placé à l’avant-plan, on laisse ici beaucoup d’espace aux interprètes. Pas si nombreux, on ne s’étonne plus à revoir les mêmes corps et visages et on admire leurs diverses capacités tellement on réalise leurs nombreux attributs. Acrobates? Oui, mais également chanteurs, personnages, musiciens. Parlez-en à Marie-Michelle Faber qui, le temps d’un numéro, se retrouve suspendue dans les airs à se contorsionner sur un cerceau alors qu’elle doit également chanter la chanson principale et incarner la déesse de la Lune!

Du coup, chacun a évidemment son moment de gloire et, pour les aider, une panoplie d’éléments techniques se permettent de les embellir et de mieux briller, du maquillage aux judicieux accessoires. D’abord, les fabuleux et flamboyants costumes de Mérédith Caron ravissent le regard. Colorés, ils profitent d’une recherche de textures et de matériaux qui surprennent autant au premier regard que lorsqu’on y porte plus d’attention, en plus d’aller chercher l’idée du mouvement. On pense au costume du lézard ou ceux des paons qui brillent d’ingéniosité par leurs queues. Le décor, simpliste, est large et donne beaucoup d’ampleur scénique, jouant beaucoup avec le concept de rondeur, alors que tout tourne sur soi-même, rendant l’ensemble visible pour tous et pas seulement pour ceux à l’avant, un défaut qu’on pouvait souvent retrouver, les exigences théâtrales obligent. D’ailleurs, une partie de la scène pivote souvent sur elle-même alors qu’un impressionnant système mécanique tout au haut du chapiteau permet à tous de voltiger sans jamais entrer en collision. Un numéro de voltige en simultané avec une des musiciennes dans les airs? Ce n’est là qu’un des multiples challenges que le spectacle relève haut la main.

Par contre, un constat s’impose: la deuxième partie est certainement la plus forte. Oui, on se fait plaisir avec la première. Le numéro d’ouverture est rassembleur, les sœurs au monocycle sont irrésistibles, tout comme cet ensemble de jeunes asiatiques qui se lancent des balances attachées à des cordes, tout en étant en suspension sur les pieds de leurs partenaires, ou du poétique numéro au bol d’eau où brille la délicieuse et souple Mongolienne Ikhertsetseg Bayarsaikhan. Mis à part l’impressionnant numéro de barres asymétriques qui nous coupe le souffle, cette première partie demeure tout ce qu’il y a de plus convenable.

Par la suite, ça explose et ça s’enchaîne à vive allure, on ne sait plus où placer nos applaudissements, alors qu’un étourdissant numéro de planches sautoirs laisse sa place à un hypnotisant numéro de mât chinois, puis à un retour inusité des funambules qu’on croyait bien connaître. Ils nous est donc possible avec ces numéros de saluer le talent des hommes qui sont malgré tout peu nombreux dans cet hommage à la femme, alors que leurs coquineries et leur assurance épatent à mesure qu’ils sautillent d’éléments en éléments, tandis que le réputé Édouard Doye, notamment par le biais d’un déchirant numéro exprimant la douleur face à la perte de l’être aimé, nous force à river nos yeux sur son pouvoir, ses muscles et sa carrure, revenant à de nombreuses reprises puisqu’il est Roméo, l’un des protagonistes. Par contre, si le numéro de funambules nous donne du fil à retordre alors qu’on ne sait plus où donner de la tête dans ce double duo où quatre interprètes s’exécutent pratiquement toujours en même temps, c’est un inattendu numéro d’équilibriste qui nous rive à notre siège et nous coupe le souffle. Gâcher la surprise serait cruel, mais retenez le nom de Lara Jacobs Rigolo, puisqu’elle pourrait bien être à elle seule l’unique raison d’être du spectacle, l’équivalent de ce que l’on pourrait appeler du «jamais vu» ou du «il faut le voir pour le croire!». Elle s’est d’ailleurs méritée un standing ovation marquant, une première à ma connaissance, surtout pour un numéro en continu.

Certes, c’était soir de première médiatique et un climat nerveux pouvait se sentir, un peu comme les quelques erreurs qui n’ont pas été en mesure d’être évitées. Le spectacle encore naissant n’est pas entièrement au point. Inégal, plusieurs numéros méritent d’être resserrés et les chorégraphies mieux rodées, alors qu’on perd le rythme entre ce qui est impressionnant et ce qui doit impressionner. Cela s’applique également au numéro final qui n’est tristement pas à la hauteur de tout ce qui l’a précédé (ce n’est pas parce que c’est haut que c’est nécessairement époustouflant et techniquement parlant, le dernier numéro avant la conclusion doit nous clouer à notre siège, alors qu’on l’est bien plus plusieurs fois auparavant). Même chose au point de vue narratif, alors qu’on a l’impression d’assister à un vrai film de Disney. Oui, on devine en gros les situations, mais le tout est particulièrement flou et on n’ose pas imaginer quelqu’un qui voit le tout sans se renseigner ou en lire le synopsis! D’autant plus qu’on a souvent recours à des gestuelles plutôt faciles et par moment ringardes, ce qui cloche certainement avec d’autres détours plus ambitieux qui, à l’opposé, impressionnent.

Par là on pense à des trouvailles scéniques qui ne manquent pas d’idées, tout comme la conception de l’éclairage qui se permet de beaux effets comme lors d’un magnifique numéro de coordination tout en noir et en argent. De plus, parce qu’on ne l’a toujours pas mentionné et qu’on ne peut passer à côté, la musique de Bob et Bill égaie facilement les oreilles. Sans trop s’éloigner des sentiers battus, la musique rock, préférée à d’autres choix qui auraient pu être plus conventionnels, met beaucoup de piquant à l’ensemble, ce qui ne les empêche pas de passer du saxophone aux guitares électriques. On savoure également les inspirations fort nombreuses du duo alors qu’une guitare sèche donne des airs plus folk par ici et des élans de tango/flamenco par là!

On ne peut non plus passer sous silence le beau côté romantique du spectacle. La chimie opère entre tous les membres et on croit beaucoup à la complicité qui est utilisée et réutilisée partout. De là découle certainement le duo de clowns, inévitable, qui, malgré de nombreuses références plus osées qui seront un peu plus difficiles à expliquer aux tout-petits, font certainement rire aux éclats grâce à un sens de l’absurdité bien pensé et fort bien accueilli! Et puis, au-delà de l’amour humain, c’en est un pour la grâce et l’élégance également qui domine alors qu’on exploite une fascination pour le corps et ses capacités, transcendant l’acrobatie en elle-même pour exhiber les forces physiques de l’être humain masculin ou féminin. Un numéro de danse qu’on pourrait trop rapidement sous-estimer en fait foi, tout comme un numéro de jonglerie qui doit certainement exploiter toutes les parties du corps avec lesquelles il est possible de jongler, nombre de balles ascendantes en extra!

Qu’on ne se méprenne pas, donc: Amaluna est à nouveau un immanquable de notre bon vieux Cirque du Soleil. Ce serait dur de dire qu’il est un des meilleurs, puisqu’on a un sentiment que ce bon lot de bonnes idées n’en est pas encore à sa plus belle finition. Parce que tous les numéros sont valables et qu’aucun ne mérite de disparaître pour cause d’ennui ou de désintéressement, et surtout parce que les bons coups et les extraordinaires grands coups sont bien nombreux, nos moments préférés ne cessent de se multiplier au fur et à mesure que le tout progresse. Ne reste donc plus qu’à se laisser tenter, à admirer et à tomber considérablement sous le charme d’Amaluna.

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