«2050 Mansfield / Rendez-vous à l’hôtel» de La 2e Porte à Gauche à l'hôtel Le Germain de Montréal – Bible urbaine

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«2050 Mansfield / Rendez-vous à l’hôtel» de La 2e Porte à Gauche à l’hôtel Le Germain de Montréal

«2050 Mansfield / Rendez-vous à l’hôtel» de La 2e Porte à Gauche à l’hôtel Le Germain de Montréal

Danse de chambre

Publié le 28 janvier 2014 par Marie-Ève Beausoleil

Crédit photo : Claudia Chan Tak

La 2e Porte à Gauche, collectif de danse contemporaine tout-terrain, a transporté son art à l’Hôtel Le Germain à Montréal pour sa plus récente production, 2050 Mansfield / Rendez-vous à l’hôtel. S'y déploie un parcours chorégraphique en quatre chambres, espaces repliés dans lesquels le spectateur, voyeur légitime, vole quelques fragments d’intimité.

Chaque microcosme résulte de la collaboration entre un chorégraphe et un metteur en scène qui devaient concevoir ensemble une pièce de vingt minutes pour un duo d’interprètes. Ce laboratoire de création, sous la direction artistique de la chercheure et chorégraphe Katya Montaignac, visait à décliner le thème du couple à travers une exploration des interactions potentielles entre la danse et le théâtre.

Ce projet est sans nul doute l’extension d’une pensée chorégraphique, en ce qu’il se construit sur la prémisse de deux corps respirant situés dans l’espace. La présence physique suffit à faire œuvre et habite la pièce avant tout mouvement programmé, avant toute parole. On assiste cependant à de complexes compositions, qui incorporent pirouettes et contorsions à l’étrange ballet des gestes normaux de la vie à l’hôtel.

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Organisés en groupes de vingt, les spectateurs font eux-mêmes partie d’une chorégraphie marquée par le trajet qu’ils empruntent, les objets et les personnes qu’ils contournent, les places et les postures qu’ils adoptent de leur propre gré ou en réponse aux danseurs. La remise en cause du statut de spectateur est poussée à son point de rupture dans une cinquième chambre, sorte de cas limite où les interprètes sont absents: il ne reste plus que les visiteurs, libres d’explorer les artefacts épars du processus de création et de laisser eux-mêmes une trace de leur passage.

Comme le dit à peu près Emmanuel Schwartz de la chambre 406 (Catherine Vidal et Frédérick Gravel, rebaptisée la «décalée réflexive» dans mes notes): «Quand je dis danse, ne pensez pas danse! C’est de la danse-théâtre!» Aussi, la portion dansée est circonscrite pour laisser place à un large éventail de procédés: exploitation des éléments de l’espace comme la douche, les placards et le lit, dispositifs audio-visuels tels que des projections, de la musique et des voix enregistrées, sans oublier, bien entendu, le jeu théâtral. Le traitement le plus littéral du mariage entre danse et théâtre – et du couple comme expression de l’amour romantique – se trouve peut-être dans la chambre 306 (Catherine Gaudet et Jérémie Niel), où deux artistes accomplis reprennent des passages connus de Roméo et Juliette et dansent en duo pour un effet à la fois poétique et viscéral.

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Reconnue pour ses productions in situ, La 2e Porte à Gauche met l’espace de représentation au centre de la démarche artistique en délocalisant la danse de ses lieux dédiés. La salle de spectacle (tout comme le musée) n’est certes pas stérile, mais tend à rester non questionnée, à reproduire un modèle de consommation et un rapport – qu’on pourrait qualifier de passif – à l’art. Autrement dit, elle est confortable. Dans la présente œuvre, l’hôtel ne consiste pas en un simple décor et une panoplie d’accessoires tout prêts. Il impose une expérience plus engageante physiquement et mentalement, tout en constituant un élément sémantique fondamental du spectacle. Les évocations qui en émanent sont multiples et puissantes. Pendant un instant, on pourrait avoir l’impression de tourner À bout de souffle avec Jean-Luc Godard dans le confinement de la chambre, ou de suivre comme M. Scrooge les fantômes du passé, du présent et du futur pour entrevoir des échos de sa propre vie.

L’hôtel colore également le sujet de l’œuvre par la tension qu’il produit entre l’uniformité impersonnelle des lieux et les histoires uniques qui s’y déroulent. Les chambres 307 (Marie Béland et Olivier Choinière) et 408 (Virginie Brunelle et Olivier Kemeid) se situent aux extrémités de ce spectre, la première soulignant par la répétition et la désynchronisation des gestes et des paroles le conformisme qui accable la vie de couple, la seconde mettant à nu les souvenirs les plus intimes d’un homme.

Tout en tenant compte de contraintes pratiques évidentes, il aurait été souhaitable que les transitions entre les différentes chambres soient davantage scénarisées pour mieux s’intégrer au spectacle. De plus, la visite de la chambre vide tombe à plat et perd un peu de son sens pour l’un des groupes de visiteurs, qui y arrive en fin de parcours. Ces détails moins réussis soulignent les difficultés propres à la réalisation d’un projet hors des cadres habituels. Or, 2050 Mansfield / Rendez-vous à l’hôtel prouve brillamment que le jeu en vaut la chandelle.

«2050 Mansfield / Rendez-vous à l’hôtel» est présenté à l’Hôtel Le Germain Montréal, situé au 2050 rue Mansfield près du métro Peel les 1er et 3 février à 19h ainsi que le 2 février à 16h. Les places sont limitées. Consultez le site de l’Agora de la danse au www.agoradanse.com.

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