«Turning Rocks» de Thus Owls – Bible urbaine

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«Turning Rocks» de Thus Owls

«Turning Rocks» de Thus Owls

Apprivoiser le passé

Publié le 8 avril 2014 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Secret City

C’est en s’inspirant de la maison familiale à Orust, en Suède, que la portion féminine de Thus Owls, Erika Angell, a mis en mots une sorte de quête identitaire. La Suédoise, devenue Montréalaise pour suivre son mari et complice Simon Angell, a effectué un voyage dans le passé de sa famille. Un voyage empreint de nostalgie, mais aussi d’espoir, de pardon et de confiance, ce qui s’entend bien sur les dix pièces de Turning Rocks, le troisième opus de la formation suédo-canadienne. L’expédition que vit l’auditeur se fait toutefois moins éclectique et saisissante que celle vécue avec Harbours, deux ans plus tôt.

C’est d’ailleurs avec la pièce la plus semblable au son mystérieux et obscur d’Harbours (2012) que s’ouvre l’album. «As Long As We Try a Little», avec ses accords de piano plaqués et la magnifique voix d’Erika Angell, est presque langoureuse, jusqu’à ce que les guitares électriques et les cymbales apportent une atmosphère pesante. La voix d’Erika se complète elle-même à l’aide de chœurs en harmonie et démontre déjà l’étonnant registre vocal de l’interprète.

Après avoir donné à nouveau dans le sombre et l’énigmatique, Thus Owls dévoile des sonorités plus accessibles sur Turning Rocks, faisant pencher son folk – parfois presque blues, comme sur «White Flags Down» –  vers la pop, dès «How, In My Bones», une pièce bien rodée en spectacle depuis l’été dernier. Plus légère et entraînante, elle saisit et ravit, tout comme «Bloody War», avec ses tambours et cymbales créant une rythmique des plus intéressantes. L’utilisation de la voix de tête d’Erika charme également l’oreille sur cette troisième piste.

La chanson «Ropes» est sans doute la plus représentative de l’opus, car elle est à la fois très intense, surtout lorsque tous les instruments se mêlent de la partie, puis très douce, dès que la sublime voix d’Erika Angell se fait entendre, accompagnée de son auto-harpe. Sa finale presque psychédélique, aux sonorités électroniques, avec ses claviers chaotiques et ses tambours tonitruants, contraste toutefois avec des pièces comme «Could I But Dream that Dream Once More», où la chanteuse gratte son auto-harpe tout en chantant doucement, donnant ainsi une interprétation sensible et sans artifice. Un beau chœur viendra supporter Erika, qui peut alors se permettre des envolées au-dessus de la mêlée. Car c’est véritablement ce qui se produit: les prestations vocalement impeccables de la chanteuse se démarquent et contribuent grandement au son de la formation.

Si chaque chanson de ce troisième effort agit presque comme un tableau, avec son ambiance singulière, il faut dire que les membres de Thus Owls font preuve d’une grande habileté, en plus de laisser aller leur ingéniosité. Entre les envolées vocales senties et touchantes d’Erika Angell, le jeu de guitare particulier de Simon Angell (anciennement musicien accompagnateur de Patrick Watson) et les touches de claviers, Wurlitzer et orgue Farfisa du nouveau venu, Parker Shper, il serait difficile de ne pas reconnaître le génie créatif de la formation, qui a bel et bien, sur Turning Rocks, trouvé un son qui lui est propre.

Mais l’audace n’est pas toujours récompensée, comme en témoigne la dernière pièce de l’album, «Thief», où le chanteur invité, Taylor Kirk (Timber Timbre), vole à Erika Angell tout son charisme en l’empêchant de s’envoler. En effet, le timbre de voix grave du chanteur fait en sorte que la voix féminine doit aussi aller piger dans un registre plus bas, ce qui semble la restreindre. L’ambiance lourde et dramatique créée par les guitares électriques aux effets pesants et la batterie contribue à donner à l’opus une finale certes enivrante, avec son envolée instrumentale planante, mais bien chargée et accablante pour un album qui se voulait autrement plus enjoué et lumineux que les précédents.

Thus Owls a voulu retourner des roches pour fouiller son passé, mais a aussi voulu organiser davantage le son et les ambiances créées, en calculant ses influences et les sonorités souhaitées. Peut-être que la formule n’est pas tout à fait au point, car il faut avouer qu’il y avait sur Harbours une spontanéité inventive et un résultat peut-être moins soigné, mais plus percutant et poignant que sur Turning Rocks. Parce que l’expérimentation, c’est aussi ça: regarder ce qui peut bien se trouver sous une roche. Malgré tout, ce troisième opus ravit à bien des égards, il faut toutefois lui accorder quelques écoutes et l’apprivoiser.

L’album Turning Rocks de Thus Owls est disponible en magasin sous l’étiquette Secret City. Le lancement montréalais de l’opus se fera demain, le mercredi 9 avril, au Cabaret La Tulipe.

 

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