«The Seer» de Swans: un accomplissement monstre – Bible urbaine

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«The Seer» de Swans: un accomplissement monstre

«The Seer» de Swans: un accomplissement monstre

Publié le 12 septembre 2012 par Mathieu St-Hilaire

Il est préférable de le mentionner dès la première phrase: The Seer n’est pas un album pour tout le monde. Avec ses deux heures de musique (c’est un album double), ses nombreux moments intenses, son ambiance à la fois impénétrable et terrifiante; plusieurs ne franchiront pas la moitié de la deuxième chanson. Par contre, ceux qui désireront aller plus loin dans l’univers de Michael Gira, leader de 58 ans du groupe, ne le regretteront pas: The Seer est un album unique, inclassable et complètement délirant.

Évidemment, lorsque l’on regarde la durée des pièces de cet opus, il est facile d’être intimidé devant ce défi d’écouter un album d’une telle longueur. Mais le challenge n’arrête pas là: Swans s’aventurent mieux que quiconque dans ces endroits sombres, pervers et inconfortables de l’âme humaine. Comme dans les meilleurs films de David Lynch, les œuvres de Swans demeurent dans notre esprit comme des mauvais rêves. Et, selon Michael Gira, The Seer est le point culminant de trente années de carrière. Et il a franchement raison.

D’entrée de jeu, «Lunacy» donne le ton: longue intro en effet crescendo et arrêt brusque alors que la musique est à son climax. Après un long couplet à la guitare acoustique, le refrain fait basculer la chanson dans une chorale où le mot «Lunacy!»  est scandé à répétitions, plongeant l’auditeur dans un moment de folie et d’extase qui dresse littéralement le poil sur les bras. Après une telle introduction, c’est à se demander si l’intensité va demeurer pendant encore une heure cinquante minutes. La réponse est oui, mais à différents degrés.

«Mother of the Earth», deuxième chanson et premier extrait de l’album (ce ne sera jamais un hit, c’est garantie), suit avec un rythme aliénant tellement répétitif qu’il s’incruste en nous. Swans utilisent souvent la répétition afin d’accrocher l’auditeur. L’effet est tout sauf négatif: cela permet de pénétrer dans le monde sonore du groupe et également de perdre complètement la notion du temps. Les chansons possèdent tellement de profondeur qu’il devient impossible de tout saisir ce qui se passe d’un seul coup: on découvre à chaque écoute.

Certes, la répétition peut devenir très lourde pour certains, surtout avec les nombreux moments cacophoniques et bruyants (parfois très bruyants) qui se retrouvent sur l’album. La chanson titre, d’une durée de 32 minutes, est un long parcours très sinueux où cornemuses, accordéons, batterie infernale et guitares pesantes se rejoignent quelque part dans des montagnes russes d’incantations. À travers ce saisissant vacarme, Gira chante, muni de sa voix très grave, la seule parole de la chanson: «I’ve seen it all / I’ve seen it all / I’ve seen it all / I’ve seen it all». C’est à couper le souffle. 

Il est pratiquement impossible d’en arriver avec des comparaisons tellement la présentation et la structure des chansons sont non-orthodoxes. Chaque chanson est différente de la précédente, ce qui peut désorienter quelque peu parfois. «93 Ave. B Blues», par exemple, est une pièce instrumentale psychédélique déconstruite qui se termine avec un assaut musical qui fait augmenter la pression sanguine de façon brutale. L’écoute est parfois très difficile, mais la patience réserve énormément de surprises.

Le deuxième album, qui contient quatre chansons, débute avec la pièce la plus «conventionnelle»: «Song for a Warrior», magnifiquement interprétée par Karen O des Yeah Yeah Yeahs. Il s’agit d’une espèce de ballade country qui représente sans contredit le moment le plus attendrissant de l’album. S’en suit l’incroyable «Avatar», dont l’intensité est continuellement grandissante à travers ses neufs minutes. Sa conclusion, ou son explosion, est tellement fracassante et grandiose qu’elle ferait passer Arcade Fire pour des enfants d’école.

The Seer se termine avec «The Apostate», où Michael Gira envoie son auditeur aux portes de l’apocalypse. Après une longue introduction de six minutes où plane une tension à couper au couteau, les membres du groupe amorcent une destruction finale : la seule destination logique à un tel album. On a l’impression que tout s’écroule autour de nous et on demeure complètement stupéfait devant une telle annihilation sonore.

The Seer est un album que l’on adore ou l’on déteste. Dans les deux cas, on a sans aucun doute raison. Il exige une écoute attentive, voir maladive, pour être adoré. Aucune pièce n’est facile à digérer. Par contre, l’album constitue la preuve que la musique peut, lorsqu’elle est poussée à une extrême beauté ou laideur, faire ressortir une exaltation émotionnelle et spirituelle d’une force considérable. Les dernières paroles prononcées par Michael Gira en font d’ailleurs foi, lorsqu’il s’écrie, visiblement possédé par sa musique : «We’re on a ladder to God / We’re on a ladder to God / We are blessed! / We are blessed! / Fuck! / Bliss! / Fuck!/Bliss!». Immense, ténébreux et insaisissable, The Seer vient confirmer le statut de Swans au sommet de la musique rock expérimentale.

Appréciation: **** ½

Crédit photo: www.consequenceofsound.net

Écrit par: Mathieu St-Hilaire

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