«The Life of Pablo» de Kanye West – Bible urbaine

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«The Life of Pablo» de Kanye West

«The Life of Pablo» de Kanye West

La (fausse) rédemption gospel

Publié le 23 février 2016 par Édouard Guay

Crédit photo : GOOD, Def Jam

Entre deux mégalomanies et provocations risibles, ayant entraîné bien des moqueries, le rappeur et producteur Kanye West fait aussi de la musique. Celle-ci est souvent très intéressante, ce qui permet à l’artiste complexe de racheter certains écarts de conduite. Ces envolées, à mi-chemin entre génie créatif et délire narcissique, font partie de sa personnalité et son plus récent opus The Life of Pablo, le meilleur album de tous les temps selon lui, en est un exemple probant.

Sorti en grande pompe la semaine dernière sur TIDAL après de nombreuses tergiversations, son septième album comprend, comme à l’habitude, plusieurs invités de marque, dont Rihanna, The Weeknd, Kendrick Lamar, Andre 3000, Kid Cudi, Frank Ocean et (l’imbuvable) Chris Brown. Kanye laisse également la place à des artistes émergents, comme Desiigner, Chance the Rapper, Ty Dolla $ign ou Young Thug. L’oeuvre bénéficie de productions raffinées et variées, dignes de Kanye. Jusqu’à présent, tout va bien pour les amateurs de hip-hop.

Là où le bât blesse, c’est que malgré toutes ses qualités, l’album souffre de l’ambition démesurée de son créateur. On a ainsi affaire à quelques passages ronflants, saupoudrés d’auto-tune parfois superflu. Pour chaque moment gracieux et maîtrisés, il y en a d’autres qui essaient un peu trop d’être géniaux. On sentait autour de la nouvelle offrande cette présomption maladive, notamment lors de son lancement grandiloquent. La série d’excès des dernières années en a fait décrocher plus d’un, le rappeur s’en moque d’ailleurs sur la cynique «I Love Kanye».

Dès le départ, l’artiste met la barre très haute avec «Ultralight Beam», une pièce gospel où il prend les traits de l’apôtre Saint-Paul, aveuglé par la lumière divine pour exprimer sa foi envers Dieu. Le pasteur Kirk Franklin et la chanteuse Kelly Price ajoutent leurs voix féériques à la chorale et, au passage, absolvent Kanye de ses péchés (il en a bien besoin!) Puis, l’excellent Chance the Rapper se donne le rôle de protecteur bienveillant dans un couplet très convaincant. Quand on entend la conclusion majestueuse, on jubile, mais la suite n’est pas toujours aussi grandiose!

Les deux pièces suivantes, avec un Kid Cudi étonnamment inspiré et un Desiigner mordant, poursuivent sur cette lancée de gospel pimpé. Kanye exprime son désir d’être libéré de ses démons, il s’en remet à Dieu et à ses proches pour l’aider en ce sens. Il nous parle du décès de sa mère, qui l’a beaucoup affecté, et de la relation difficile avec son père, auquel il essaie désespérément de ne pas ressembler.

Comme on pouvait s’en douter, le repentir du rappeur ne dure pas longtemps, alors qu’il écorche inutilement Taylor Swift sur «Famous», revenant sur les événements des MTV Video Awards de 2009: «I made that bitch famous!», lance-t-il, cinglant. Il fallait bien qu’il y ait une controverse préfabriquée sur l’album, sinon ce ne serait pas Kanye West… Heureusement, les arrangements de Swizz Beatz et les échantillonnages des légendaires Sister Nancy et Nina Simone viennent sauver la mise.

Parmi les moments réussis, mentionnons «Feedback» et sa délirante conclusion à la Yeezus, «FML», portée par The Weeknd, où Kanye nous montre sa façade plus vulnérable, et «Real Friends» revenant encore une fois sur les démons du passé. «No More Parties In LA», la meilleure pièce de l’album, est quant à elle, un brillant portrait de la célébrité superficielle. Le réputé producteur Madlib y condense cinq échantillonnages différents dans une production explosive et Kendrick Lamar porte le tout sur ses épaules en nous offrant, comme toujours, des textes incroyables et une prestation sans faille.

Malgré tous ces bons moments, on ressent des signes de fatigue, en particulier en fin de parcours, où le filon gospel est quelque peu délaissé au profit de mélodies génériques: «Low Lights» est superflue et prétentieuse, «Waves» est loin d’être aussi géniale qu’on nous le promettait, l’interminable «30 Hours» fait ronfler, la version retravaillée de «Wolves», où Sia a été omise, est décevante, et «Fade» termine l’album en nous laissant mi-figue mi-raisin.

Quand Kanye West est bon, il est excessivement bon, il nous l’a démontré avec l’exceptionnel My Beautiful Dark Twisted Fantasy, mais la complexité de son être contradictoire et délirant prend parfois le dessus. Si cette personnalité peut mener à des moments majestueux de hip-hop, elle entraîne aussi une certaine errance dans l’approche. Les qualités indéniables de The Life of Pablo, tant au niveau du contenant que du contenu, se retrouvent édulcorées dans des interludes vaporeux qui viennent gâcher quelque peu son départ canon et innovateur.

Contrairement à ses meilleurs albums, Kanye essaie un peu trop fort cette fois-ci de nous convaincre qu’il est le meilleur artiste du monde, mais y perd quelques plumes.

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