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Crédit photo : Bad Seed Ltd. et Kerry Brown
Démystifions toutefois immédiatement une chose: une bonne partie de l’album était déjà composée lorsque le fils de Cave quinze tomba d’une falaise le 14 juillet 2015. Les pièces qui forment Skeleton Tree ne sont donc pas toutes directement liées au décès. Par contre, le deuil est on-ne-peut-plus palpable et ressenti par l’auditeur.
Et l’artiste s’est vu confronté à tout un dilemme: partir en réclusion ou bien poursuivre l’enregistrement? Il a décidé de laisser micros et amplis ouverts. Il a aussi décidé de faire entrer les caméras, lançant le documentaire One More Time With Feeling une journée avant l’album. L’art comme reflet de la réalité, aussi dure soit-elle? Vous pouvez parier que Nick Cave y a été confronté plus que jamais. Et il en a sans doute laissé des plumes.
«You fell from the sky/Crash landed in a field / Near the river Adur», chante Cave sur la toute première chanson, «Jesus Alone». Difficile d’être plus confronté à l’évènement que ça. Déjà, la chanson place Cave dans une position qui lui est étrangère: après des années à écrire sur la mort à travers des personnages, il est maintenant le personnage qui doit affronter la mort. «With my voice I am calling you», chante-t-il, simplement mais durement, au refrain. Le deuxième extrait, «I Need You», va encore plus loin, Nick Cave chantant en prenant à peine le temps de respirer. Il y livre tout et relâche tout dans une prestation renversante.
Musicalement, Skeleton Tree reprend essentiellement où le groupe avait laissé sur Push the Sky Away. La grande différence est que l’émotion déployée est quintuplée, ce qui rend les pièces encore plus riches. Prenez seulement la superbe «Distant Sky», avec la soprano Else Torp, où l’effet créé est une confession père-mère suite au terrible drame. Cave y chante des paroles déchirantes: «They told us our dreams would outlive us / They told us our gods would outlive us / But they lied». Personne ne peut chanter de telles lignes sans les avoir profondément vécues. Cave y répète aussi la phrase «Let us go now», alors qu’habituellement c’est plutôt l’inverse lors d’un deuil: les survivants doivent normalement laisser aller la personne décédée. Que Cave suggère le contraire démontre la profondeur de la blessure.
Nick Cave ne traite pas directement de la tragédie sur chacune des pièces. Évidemment, la toile de fond de l’album est tissée d’une grande tristesse, mais de faire huit chansons sur la mort de son fils aurait été d’une trop grande lourdeur. Et il est possible de déceler des parcelles de lumière à travers ces morceaux, Cave sachant encore créer des moments somptueux. «Rings of Saturn» et «Skeleton Tree» en sont deux exemples. «It’s alright now», conclut-il sur la pièce titre, essayant de trouver une sorte de paix intérieure, terminant l’album sur une note plus optimiste (même si l’association du mot à une telle œuvre est sans doute impossible).
Dans une année qui a vu David Bowie livrer un album mettant en scène sa propre mort, il était pratiquement impensable qu’une œuvre puisse atteindre le même niveau de douleur et de stupéfaction. Nick Cave y arrive probablement et malheureusement bien malgré lui. Sauf que le jeu des comparaisons est inutile et futile, surtout lorsqu’il est question d’œuvres d’exception d’artistes incomparables.
«Just step away and let the world spin», mentionne Cave sur «Girl in Amber». Oui, le monde continue de tourner malgré les tragédies, et il est quelque part rassurant de savoir que ce genre de disque puisse aussi tourner et aider tout un chacun à survivre aux pires épreuves.
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