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Crédit photo : Mercury
L’album Jake Bugg (2012) marquaient les goûts de l’artiste britannique pour les précurseurs et génies du rock n’roll et folk américain. On entendait Buddy Holly sur la simple «Fire», Bob Dylan sur la déchaînée «Trouble Town» ou encore Donovan sur la mélancolique «Country Song». Plusieurs titres parvenaient également à faire retentir ses origines. Par exemple, les accords de «Slide» trahissaient son intérêt pour le légendaire groupe Oasis. D’ailleurs, Noel Gallagher a recruté le jeune Anglais pour une série de concerts par la suite. Bugg n’inventait rien sans doute avec le précédent opus, mais ses mélodies nous enivraient, chatouillant agréablement nos tympans. Le jeune chanteur mettait la table avec authenticité, émotion et, surtout, parcimonie, ce qui manque cruellement à Shangri La.
Il est tout à fait légitime aujourd’hui de se trouver déçu en découvrant ce second LP. D’abord, le gravé ne contient aucune composition de la trempe de «Two Fingers» ou de «Lightning Bolt». Encore, une absence de chansons musclées ne signifierait pas nécessairement que Jake Bugg a raté la mise: tout en présentant un éventail de compositions sophistiquées, l’ensemble pourrait simplement faire valoir un tempérament plus lisse que le premier disque. Or, il apparaît tout de même que Bugg s’est enfargé de plein pied et que la plonge fut assez terrible.
L’énorme fossé séparant, en qualité, les deux albums est stupéfiante. Shangri La semble vouloir séduire une clientèle jeune, et plutôt adolescente. Ici, on repassera pour «Simple Pleasures», beaucoup trop facile. On aurait pensé qu’avec le grand Rick Rubin derrière lui (Red Hot Chili Peppers, Adele, Kanye West) Bugg aurait été en mesure de conserver sa personnalité musicale, même s’il effectuait une transition importante, passant de l’acoustique à l’électrique. On constate ainsi que de se rallier à un as ne compense en rien le temps lorsqu’il est question de laisser mûrir les bonnes idées. Bugg s’est donné un an à peine. C’est souvent un laps trop court pour lancer un second album rigoureux et intelligent.
Pour faire preuve d’indulgence, mentionnons que Bugg entame assez bien Shangri La avec «There’s a Beast and We All Feed it», électrisante et bourrée de caractère. «Slumville Sunrise» aurait dû être brillante, honnêtement. Est-ce pour la rendre plus accessible que Bugg a choisi de la pimenter d’un mélange de «You’re the One that I Want» de Grease et de «Country Roads» de John Denver au refrain? Si oui, quelle mauvaise entreprise, car elle fâche plus qu’autrement. Pareillement, la troisième chanson, intitulée «What Doesn’t Kill You», réussit bien lorsqu’elle débute. Le riff de guitare entrecoupé et la batterie provocante évoquent, à bien des égards, les talentueux Arctic Monkeys. Sauf, qu’une fois de plus, Bugg gâche la suite. Il étire les paroles en abusant de sa voix nasillarde, et ce, à tel point qu’on songe à sauter la piste, les oreilles ensanglantés.
Ceci dit, «Messed Up Kids» s’avère une formule sonore attirante, qui a les reflets du band américain The Decemberists. Elle talonne de près deux autres titres habilement livrés. Le blues rock direct, à la bonne franquette, de «Kingpin» rappelle quelque peu The White Stripes, tandis que «Pine Trees» condense enfin les meilleurs éléments de Jake Bugg. Ceux-ci ne parviennent toutefois pas à nous faire oublier les chansons sans grand arôme de l’offrande, telles que «A Song About Love» et «Storm Passes Away», majoritaires sur ce LP.
En bref, Shangri La ne renferme rien de très palpitant. Après lui avoir offert sa chance, on a le goût de retourner à l’album antérieur et de s’y confiner jusqu’à la prochaine parution de Jake Bugg qui, on l’espère, ne viendra pas avant deux ou trois ans encore. Le chouchou de Notthingham devrait s’allouer du temps pour méditer sur ses projets futurs. Sa musique paraissait mature, réfléchie et crédible en 2012 et on croyait tous en son grand potentiel. Désormais, on y songera deux fois avant de le comparer à Dylan, c’est certain.
L'avis
de la rédaction