«Shaking the Habitual» du duo suédois The Knife – Bible urbaine

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«Shaking the Habitual» du duo suédois The Knife

«Shaking the Habitual» du duo suédois The Knife

Rien d’habituel

Publié le 21 mai 2013 par Mathieu St-Hilaire

Crédit photo : http://mute.com

Qu’on se le dise tout de suite: Karin Andersson et Olof Dreijer sont étranges. Le duo suédois frère-sœur a un parcours artistique imprévisible: un mini-succès commercial («Heartbeats»), un album électro-pop noir ayant séduit les critiques (Silent Shout, 2006) et un opéra sur le darwinisme qui a provoqué l’effet inverse (Tomorrow, In a Year, 2010). À ces accomplissements, on peut ajouter le projet solo d’Andersson, Fever Ray, qui a mené à un très solide album homonyme en 2009. Sur Shaking the Habitual, toutefois, le groupe perd complètement la carte. Pour notre bonheur et, parfois, pour notre malheur.

Quand un groupe aussi spécial que The Knife lance un album double, l’auditeur a des raisons de se poser des questions avant même la première écoute. Qui plus est, quand on remarque une chanson de dix-neuf minutes comme transition entre les deux disques, il y a lieu de se demander dans quoi on peut bien s’embarquer. À plus de 98 minutes en longueur, Shaking the Habitual est une aventure très sinueuse où s’entremêle moments qui nous font scander «album de l’année!» avec moments où nos oreilles nous supplient de nous sortir de ce je-ne-sais-trop-quoi. The Knife joue gros et ne laisse personne indifférent.

Évidemment, on peut associer les mots «ambitieux» et «colossal» à une telle œuvre. Le terme qui semble toutefois résumer, si cela est possible, un tel projet est «déstabilisant». Chaque pièce est bien sûr très différente de la précédente. Tout commence très bien, avec «A Tooth for an Eye» et «Full of Fire», qui, avec leurs quinze minutes combinées, forment sans équivoque la suite de chansons la plus accessible du disque. Il faut aimer les percussions, car il y en a plusieurs couches et l’effet est on-ne-peut-plus rythmé. Par contre, après quelques écoutes, le résultat est saisissant. «Full of Fire» est particulièrement sans merci, d’une intensité et d’une complexité inégalable, où Andersson déclare: «Liberals giving me a nerve itch». Lorsqu’il est au sommet de son art, The Knife est le groupe électro le plus captivant de la planète.

Les trois chansons suivantes sont excellentes. «A Cherry on Top» est une longue chanson ambiante rappelant Brian Eno qui donne une profondeur étonnante à notre écoute. «Without You My Life Would Be Boring» et «Wrap Your Arms Around Me» font quelque peu penser à ce que Portishead a fait sur son dernier album, Third (2008). Les deux chansons comportent leurs lots de petites surprises sonores. Il faut par contre aimer la voix très particulière de Karin, véritable prolongement du côté «anormal» de la musique du duo.

Ensuite, nous avons droit à «Old Dreams Waiting to be Realized» d’une durée de dix-neuf minutes et qui agit comme une transition au deuxième disque. Il est évident que The Knife est un groupe intelligent qui sait défier son auditoire mais, ici, ceux qui vont écouter la pièce sans passer à la suivante sont de véritables fidèles, car il ne se passe pas grand-chose durant ces longues minutes.

Le deuxième disque est encore plus difficile d’accès que le premier, avec quelques longues chansons («Networking» et «Fracking Fluid Injection») qui testent encore notre endurance musicale. Toutefois, on retrouve sur cette moitié les deux meilleures pièces de l’album, «Raging Lung» et  «Stay Out of Here». La première fait lentement son chemin dans notre subconscient avec ses sonorités très sombres et un refrain sournois. Musicalement, c’est le morceau qui fait le plus penser à l’album Silent Shout, avec une froideur typiquement scandinave créant un paysage sonore inédit. La deuxième est construite de façon très cold wave, où se bousculent des rythmes syncopés mais très peaufinés, un peu comme Björk le faisait dans ses années glorieuses (Homogenic, 1997).   

Réussir à apprivoiser un tel album représente un exploit de taille, un peu comme l’alpiniste qui réussit à escalader l’Everest. Il faut être patient, brave et, avouons-le, un tantinet fou. Il est tentant d’abandonner à certaines reprises, mais l’effort fini par nous faire réaliser à quel point l’audace peut faire ressortir le génie. Et ne vous sentez pas mal d’éviter la pièce de dix-neuf minutes; les raccourcis sont permis tant que l’on arrive au sommet, au bout du compte.

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