MusiqueDans la peau de
Crédit photo : Flamme
1. Ceux qui ne connaissent pas ton nom reconnaîtront sûrement ton visage, du moins ceux qui se promènent au mythique coin des rues Saint-Denis / Mont-Royal. Peux-tu nous parler un peu des différents rôles que tu joues dans le milieu culturel, du Quai des brumes, de la genèse du Distorsion Psych Fest?
«Well; je pense qu’on peut dire qu’avant tout je suis un boulimique de musique. Je suis barman au Quai des Brumes, où j’ai mis sur pied il y a 8 ans maintenant la série Déplogue!, des concerts lo-fi du dimanche, en partant de deux constats: c’est l’fun de voir un band/chanteur que t’aimes faire autre chose que son show habituel, dans un contexte plus intime et ça peut être plate en maudit être barman le dimanche.»
«Je suis aussi blogueur musique pour URBANIA, batteur en vacances et je fais partie de l’équipe qui présente le Distorsion Psych Fest depuis deux ans. Ah, et je suis DJ de plus en plus souvent maintenant, on a une soirée avec Julia Blais au Divan Orange qui s’appelle Funkés et on se gâte dans la musique black qui fait danser.»
2. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu quel parcours tu as suivi pour te ramasser à porter tous ces chapeaux?
«Eh boy, par où on commence… C’est beaucoup d’heureux hasards tout ça.»
«Je ne sais plus comment, mais à la fin de ma maîtrise je me suis ramassé à booker des shows à l’Alizé sur Ontario. C’était le plus souvent vide, super gênant de ne pas pouvoir payer les bands mais on avait eu un été de fou en achalant des musiciens sur MySpace (!); un des premiers concerts d’Avec Pas d’Casque, Jérémi Mourand, Pornorobo, le premier show d’Otarie… juste du fun.»
«Après y’a eu le barman de La Rockette qui cherchait un DJ rock et punk pour une nouvelle soirée qui s’appelait Deadly Mardi, et je me suis proposé un soir de brosse, très tard. Il m’a rappelé le mardi d’après à ma grande surprise et on a eu une grosse année. Parallèlement, j’apprenais à jouer du drum avec un band garage pas très bon mais assez trash qui remplissait le Quai des Brumes parfois, et un soir la barmaid m’a demandé si je cherchais une job. Ça a commencé comme ça.»
«Le Quai, c’est particulier; c’est autant l’endroit où les bands naissent que le salon où ils viennent prendre un verre. J’habitais dans un genre de commune avec Navet Confit et Géraldine, on avait un local de musique à la maison. On a monté ses tounes, on s’est trouvé des cagoules parce qu’elle était gênée et on a fait quelques concerts.»
«Après, j’ai fait des critiques et des entrevues pour NIGHTLIFE.CA dans le temps que c’était imprimé, puis pour VICE Québec dans le temps que c’était un blogue. Et, un jour, au tout début de la série Déplogue!, y’a un band vraiment croche, l’air sorti tout droit d’une BD, qui est venu faire des covers de blues. C’est devenu Canailles, et ils ont embarqué le barman pour 5 ans de tournée non-stop…»
«Depuis que j’ai arrêté de vivre dans un camion, je collabore à URBANIA où j’essaie de présenter un peu les musiciens comme je les connais. J’ai encore un pied au Quai parce que bon, c’est un peu ma maison et celle de tellement de monde. Et on a fondé la Conspiration Psychédélique Montréal, qui organise le Distorsion Psych Fest. Ça a doublé de volume depuis la première édition; je pense qu’on peut dire que ça marche bien. C’est un beau chaos organisé et un genre de retour aux sources pour moi; j’ai toujours eu un faible pour les trucs un peu décalés, subversifs, bruyants, pour la liberté et le danger qu’y reste dans ce mouvement-là.»
3. Tu as aussi flirté avec la musique pendant un moment au sein du groupe Canailles, puis avec la poésie avec un premier recueil intitulé Carnavals divers. Est-ce que tu ressens encore le besoin de créer ou tu préfères promouvoir les projets des autres pour l’instant?
«Sincèrement, je suis dans un drôle de moment par rapport à ça. J’avais complètement arrêté d’écrire avec la tournée; ça demande du silence et de l’espace mental que j’avais pas trop en vivant à 8 dans une chambre d’hôtel, mettons. Et quand j’ai décidé de quitter le band j’ai eu besoin d’un vrai break de musique, question que ça redevienne le fun, plus naturel et moins une job… Donc je dirais que oui, j’ai encore ce feu-là, l’envie de créer, mais que je suis en train de réapprendre un peu tout ça présentement.»
4. Tu lançais, il n’y a pas si longtemps, un message aux travailleurs culturels: «Je pense sincèrement que quand on fait bien la job, on devrait toujours feeler au moins un peu comme si on avait réussi un mauvais coup. Sinon ça sert à quoi?» Peux-tu nous expliquer un peu ce que tu voulais dire par là et nous raconter l’un de ces fameux bon / mauvais coups?
«Haha… o.k., tu cites mon Facebook, faut faire attention, han?»
«En fait, je parlais de mon rapport personnel à la culture, je pense. C’est un gros lieu commun, mais c’est vrai que c’est facile de se prendre au sérieux un moment donné, d’oublier le fun et le gros «pourquoi pas?» qui animait quelque chose au début.»
«Quand ça devient sérieux, trop organisé, conventionnel ou pire qu’on veut faire plaisir à tout le monde et pas trop déranger, on perd l’essence de ce que ça devrait être, je trouve. Il faut toujours continuer de surprendre et de se mettre en danger si on veut être pertinent. Ça peut vouloir dire beaucoup de choses dépendamment du contexte, mais l’audace c’est vraiment la base. Il faut être un peu punk tout le temps.»
«Mon dernier mauvais coup est assez récent; comme il pleuvait le 23 juin et que les shows extérieurs de la Saint-Jean étaient tous en train d’être annulés, je me suis arrangé pour convaincre les gars de Chocolat de venir faire leur set au Quai des Brumes. Ils ont fini par trouver que c’était une bonne idée tard le soir, et je l’ai annoncé vers 22h, encore en train de traverser la ville pour leur trouver un ampli de basse. À minuit, comme on se préparait à commencer, la gang de Bernard Adamus s’est arrêtée au bar pour prendre une bière parce que leur show avait aussi été annulé… faque, on les a fait jouer en première partie. C’est le genre de soirée dont les gens qui étaient là vont se souvenir, je pense. Et un des meilleurs shows que j’ai vus cette année!»
5. Tu orbites autour de la scène musicale dite «émergente» depuis un bon moment déjà. Selon toi, qu’est-ce qui a le plus changé dans les dernières années et quels genres de changements aimerais-tu voir à l’avenir?
«C’est dur, ça. Il s’est passé tellement de choses très vite dans cette scène-là. Quand j’ai commencé, je te dirais que ce qu’on appelle maintenant «l’industrie» ça n’existait pas vraiment. Y’avait des gens qui faisaient de la musique pendant 10-15 ans de manière complètement indépendante. Pas de vraies compagnies de disque, pas de bookers, et ça n’intéressait pas les grands évènements.»
«Donc oui, de voir maintenant des groupes vivre de ça un peu, tourner partout et avoir une équipe qui s’en occupe c’est très beau. Et en même temps, ça a des effets pervers des fois, le fait qu’il y ait un peu d’argent (même si c’est pas beaucoup) en jeu. On cherche «le prochain» whatever au lieu d’encourager l’originalité. On laisse moins mûrir les projets, on les pousse tout de suite à faire un disque et de la tournée avant qu’ils se soient pleinement développé un style parfois. Mais il y a un équilibre qui va se créer un moment donné, ça va se faire naturellement.»
«Ce que j’aimerais pour l’avenir, sincèrement, c’est surtout politique. On a des artistes fabuleux obligés de jouer devant un char neuf dans nos festivals, et des créateurs de génie qui passent la moppe la nuit pour manger à force de sous-financer la culture et de laisser ça au privé. C’est gênant. C’est tellement un bon et un bel investissement la culture; juste s’assurer que personne n’ait à quémander, qu’on valorise le travail des artistes et qu’on reconnaisse leur place dans la société ça serait un maudit bon début. Je ne peux pas croire qu’y ait encore du monde qui ne comprend pas qu’on serait collectivement plus riches de beaucoup de manières.»