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Crédit photo : 4AD
Leur plus récent album en est la confirmation: Deerhunter est en pleine maîtrise de ses moyens et il puise en terrain connu pour se réinventer musicalement. Les refontes du groupe semblent davantage profiter à l’élargissement de son registre sonore plutôt qu’à prédestiner sa ruine. La bande sous la bannière de 4AD a choisi d’enclencher la marche-arrière pour coller davantage à l’influence punk et au «noise rock» de son premier album. La volte-face n’est toutefois pas totale. À la différence de Turn it Up Faggot (2005), les arrangements pop de Monomania rejoignent à maints égards l’opus précédent, Halcyon Digest (2010), de même que les effets vocaux distordus s’apparentent au récent Parallax (2011) d’Atlas Sound, le projet solo de Cox. Cependant, la formation continue de s’éloigner des compositions atmosphériques intenses et des structures relâchées qui caractérisaient les très estimés albums Cryptograms (2007) et Microcastle (2009).
En effet, sur Monomania, les climats et les envolées sont plus brutaux et chaotiques. Les pièces de courte durée sont piégées dans des structures de riffs minimalistes et répétitifs de guitares, tantôt distordues et bourdonnantes, poignardées, ici et là, par un brouillage strident, tantôt résonnant joyeusement. La voix trafiquée de Cox ne se perd pas dans le maelström; elle s’élève bien au-dessus de la mêlée. La première pièce «Neon Junkyard» donne le ton à l’album avec ses percussions persuasives et ses guitares à la fois pesantes et enthousiastes. «Leather Jacket II» s’enfonce ensuite dans un idéal de confusion. Toute la composition se développe autour d’une déformation sonore retentissante et l’effet s’avère grisant pour les tympans.
Les adeptes de la formation discerneront quelques ascendances subtiles à l’écoute de «The Missing», qui rappelle étrangement «Memory Boy» sur Halcyon Digest, bien que le résultat soit moins mémorable. Comme un vent de fraîcheur, la quatrième pièce, «Pensacola», légère et accrocheuse, vient convaincre que l’album vaut le détour. Certains pourront toutefois déplorer un timbre largement emprunté au leader de The Strokes. Sur «Dream Captain», le chanteur de Deerhunter nous arrache un sourire en s’appropriant ce célèbre segment de Queen: «I’m a poor boy from a poor family».
Si la musique résonne fortement sur une trame psych-pop, les textes révèlent en revanche la fragilité, la solitude et les frustrations du chanteur-compositeur. Mais, Cox résiste à ses détracteurs et à ses démons intérieurs, s’époumonant pour se délivrer de leur emprise. Sur le morceau éponyme, son mal envahissant atteint un paroxysme: «And in my mind / There is something rotting dead / I can’t compete with her/ Let me be released from this / Mono-monomania». Lorsque les arrangements shoegaze explosent, Cox crie jusqu’à épuisement «Mono / Mono / Mania». Le déchaînement final, moment où la folie s’empare entièrement de son être, n’est pas sans rappeler ici l’éreintante et assourdissante conclusion de «Heroin» de Velvet Underground. Le chanteur ferme d’ailleurs quatre de ses chansons en répétant leur titre («The Missing», «Pensacola», «T.H.M» et «Monomania»). Le brin de génie dans la démarche artistique de Deerhunter réside finalement dans cette capacité à faire de la monomanie autant le leitmotiv de ses arrangements sonores que de ses textes.
Ultimement, l’album n’a pas la complexité et la richesse musicale des disques antérieurs, mais le résultat est ficelé avec brio, accessible et énergique. Cette tangente pop amorcée depuis Halcyon Digest n’est sûrement pas défavorable pour ce band qui n’arrive jamais à satisfaire un public aussi étendu qu’il le mériterait. Mais, avec Monomania, Deerhunter dévoile une musique upbeat qui pourrait réellement conquérir de nouveaux fans.
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de la rédaction