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Brian Burton, mieux connu sous le nom de Danger Mouse, continue d’exploiter son talent à bon escient en produisant le plus récent disque de la belle et irrésistible Norah Jones. Little Broken Hearts, son cinquième opus en carrière, pourrait ainsi être son plus accompli à ce jour.
C’était écrit dans le ciel. Après trois collaborations mémorables sur l’excellent projet expérimental qu’était Rome, initialisé par Brian Burton et Daniele Luppi, il fallait bien que la douce Norah Jones laisse durer le plaisir, et c’est sans surprise qu’elle a confié la réalisation de son nouveau disque à Danger Mouse.
Si la belle ne s’est en soi jamais vraiment réinventée en terme de voix, elle a su le faire musicalement, et ce, de façon plutôt ingénieuse. Ayant débuté avec une musique jazz adoucie et abordable à bonne dose pour les radios commerciales, elle est restée plutôt sage en début de carrière, encore sous la sellette pour être reconnue comme étant la fille de Ravi Shankar. Sans jamais délaisser ses inspirations également blues, épousant un style encore plus folk et créatif, après avoir tenu le rôle principal dans le film My Blueberry Nights de Wong Kar-wai, arborant un nouveau look, c’est en 2009 qu’il nous a été offert de la redécouvrir comme jamais auparavant. Plus pop, plus aventureuse et plus aérienne également, Norah Jones a complètement fait tourner les têtes avec The Fall, un disque qu’on ne se serait jamais attendu à retrouver.
Trois ans plus tard, à l’image de la planante «After the Fall», elle poursuit là où elle nous avait laissé et combinant sa nouvelle collaboration à sa grande inspiration, causée par sa récente peine d’amour, elle se permet d’être plus concise que jamais. Oui, elle explore, oui, elle se libère, et pourtant le disque multiplie les forces plutôt que les faiblesses et se présente, à travers ses nombreuses richesses, comme un album fortement intéressant. On le réalise d’ailleurs rapidement avec la pièce d’ouverture «Good Morning», qui superpose deux airs musicaux discordants, une sorte d’entrée en matière plutôt audacieuse.
Si le disque Rome, dont on sent certainement l’influence ici, plaçait la musique à l’avant-plan à l’aide d’un son très riche, sur Little Broken Hearts, cette fois-ci, c’est la voix de la chanteuse, indépendante, qui domine le tout. Si Burton amène à l’ensemble son expertise évidente, poussant l’artiste vers des territoires qu’elle n’avait jusqu’ici jamais explorés (on travaille beaucoup les superpositions, les voix in et off, une globalité musicale se voulant la somme d’explorations diverses, etc.), il ne manque pas de faire de cette œuvre un album de Norah Jones. Ainsi, on travaille plus que jamais sa voix, comme sur l’excellente «Take It Back», qui culmine une montée d’une bonne puissance, et elle ne montre aucune gêne à transformer ses tons pour enrichir encore plus l’ensemble. Bien sûr, un son Sergio Leonien s’incruste évidemment ça et là, et ce, à l’aide d’une grande utilisation de guitares et de percussions distinctes, qui se remarquent rapidement comme sur la sensuelle et désinvolte «4 Broken Hearts» ou l’atmosphérique «All A Dream», excellente chanson finale.
La voix de la chanteuse, qui n’en fait qu’à sa tête, imposant ses propres airs et ne profitant de la musique que pour magnifier le tout, est toujours ici reine de son univers. Peut-être est-elle parvenue avec son partenaire musical à apporter à l’ensemble des airs aussi recherchés que profondément accrocheurs, étant tout à la fois l’équivalent instrumental de ce qu’elle fredonne que de compléments nécessaires. On pense aux inévitables «Say Goodbye» et «Happy Pills».
Ainsi, si l’on oublie la pièce-titre et la répétitive et beaucoup trop simpliste «Out on the Road», on a devant soi un album d’une grande qualité. Avec des explorations aussi riches que les «She’s 22» ou «Miriam», incluant la déchirante et magnifique «Travelin’ On», qui jouit d’arrangements de cordes qui touchent droit au cœur, il n’y a aucun doutes que Norah Jones trouve ici son disque au son le plus intéressant. Comme quoi elle a fait beaucoup de chemin et qu’elle se montre décidément plus fascinante que jamais.
Appréciation: ****
Crédit photo: EMI Music
Écrit par: Jim Chartrand