MusiqueLes albums sacrés
Crédit photo : Constellation Records
Avec Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven, son troisième album, la formation montréalaise a créé une œuvre cathartique, hypnotique et captivante aux accents militaires et militants. Vingt ans plus tard, les paysages sonores de cet album double sont encore gravés dans les esprits de bien des gens qui s’y sont aventurés.
Non, Lift Your Skinny Fists Like Anthennas to Heaven ne se hissera jamais au sommet des palmarès (c’est d’ailleurs la dernière chose que souhaiteraient les membres de GY!BE). Mais l’album a su traverser les frontières et est assurément devenu une œuvre post-rock majeure.
Un film symphonique
Tenter de décrire le son de Godspeed You! Black Emperor à un non-initié est un exercice périlleux, même pour un connaisseur.
Véritable montagne russe émotionnelle, Lift Your Skinny Fists est un album ambitieux et raffiné qui fait voler en éclat toutes les structures sociales et musicales. L’opus parfait pour dépeindre l’idéologie foncièrement anarchiste, anticapitaliste et anticonformiste de GY!BE.
Avec ses quatre longues pièces progressives divisées en plusieurs parties et dépassant presque toutes les vingt minutes, Lift Your Skinny Fists prend souvent les allures d’un long métrage contemplatif à la manière d’Andreï Tarkovsky.
Autrement dit, il faut savoir être patient et attentif pour en apprécier toutes les subtilités.
Tantôt gracieux et mélodique, tantôt brutal et mélancolique, l’album oscille entre des tempos rapides, des crescendos grandiloquents et des sonorités plus retenues. Violons, violoncelles, percussions, piano, cors, harpes, claviers, guitares basses et électriques s’y mélangent dans un formidable amalgame. On passe de la tempête (la première pièce «Storm») au sommeil («Sleep», qui ouvre la deuxième partie de l’album). Le tout, entrecoupé de majestueux collages sonores.
L’opus démarre tout en douceur avec un crescendo symphonique qui fait frissonner dès les premières notes. Puis, tranquillement, les sons se superposent, comme un parfait casse-tête; la batterie militaire s’ajoute à la chaleur des cuivres et, lentement mais sûrement, le calme devient la tempête.
C’est alors que l’angoisse du piano s’invite à la fête.
Mais malgré son éclectisme et ses nombreux moments d’expérimentations, l’album demeure étonnamment structuré. C’est ça, la magie de Godspeed You! Black Emperor.
La beauté de ne pas tout comprendre
Si l’écoute de ce troisième album de GY!BE (et de tous ses autres albums) peut être si aride au premier abord, c’est notamment parce que les dix (!) membres de la formation gardent toujours une grande distance avec leur public.
L’isolement et la distanciation sociale, ils la pratiquaient bien avant la pandémie.
Ça se ressent notamment sur scène, où on est davantage dans une ambiance de messe funèbre ou de rite chamanique que dans celle d’un grand concert rassembleur. Très énigmatique, la formation se plaît à dérouter en créant des expériences sensorielles uniques.
Sur Lift Your Skinny Fists, on a l’impression de vivre quelque chose de plus grand que nous. Et c’est seulement en lâchant prise qu’on peut pleinement vivre l’expérience.
Bref, on ne peut pas comprendre toutes les symboliques de l’album, et c’est parfait comme ça. GY!BE nous invite ainsi à garder nos antennes vers le paradis, vers le rêve, vers l’évasion… C’est une occasion de faire abstraction pour une fois de la société moderne et se laisser porter par la magie de la vie, tant dans le bonheur que dans l’horreur.
90 minutes de pèlerinage auditif
Emprunter le chemin proposé par Godspeed You! Black Emperor, c’est s’aventurer sur une route sinueuse, à la beauté douloureuse et souvent désarmante. Un voyage qui, même vingt ans plus tard, demeure plus pertinent que jamais, tant il symbolise bien la crise de notre millénaire, surtout dans la période post-11 septembre 2001.
Encensé par la critique internationale dès sa sortie, Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven est une œuvre véritablement unique et assurément la plus achevée de la formation. Et même si ce pèlerinage musical peut paraître intimidant et complexe pour les oreilles non initiées, il sait, comme le bon vin, devenir meilleur avec le temps.