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Une brève mise en contexte s’impose. Il s’agit du troisième long-jeu du groupe de New York. Le précédent, White Light/White Heat, est probablement l’album le plus abrasif et tonitruant sorti à l’époque dans le monde du rock. John Cale, bassiste-violoniste un peu fou et ultra aventureux, quitte le navire après coup afin de poursuivre en solo. Reed le remplace par Doug Yule, musicien chevronné mais pas aussi fougueux que son prédécesseur. Inquiétant? Oui, un peu, car jusqu’à ce moment, ça prend drôlement de la fougue pour jouer avec The Velvet Underground.
N’oublions pas que Reed était tout aussi à l’aise à écrire une chanson comme «Heroin» qu’il l’était à composer «I’ll Be Your Mirror». L’homme qui allait influencer à peu près tous les courants alterno-punk-glam-indie-machin des prochaines décennies écrivait aussi des pièces intimes qui ébranlent tout autant que des murs de guitares. Ainsi, «Candy Says», à propos de la transsexuelle Candy Darling, débute l’album délicatement, avec le nouveau venu Yule, nous murmurant à l’oreille: «Candy Says / I’ve come to hate my body / And all it requires in this world».
Le grand don de Reed, c’est cette capacité de prendre des personnages excentriques et marginaux et de leur attribuer des sentiments universels auxquels tout le monde peut s’identifier. Il manipule l’étrange et le beau et n’en fait qu’un. Son autre grande passion, outre le rock n’ roll, est la littérature. Pour lui, les deux ne font qu’un. Ainsi, il peut écrire des perles comme «Pale Blue Eyes», où il chante, de manière poignante: «Thought of you as my mountain top / Thought of you as my peak / Thought of you as everything / I’ve had but couldn’t keep / I’ve had but couldn’t keep».
Si l’album est beaucoup plus doux à l’oreille, le groupe n’oublie pas de livrer des pièces plus énergiques. «What Goes On» est une chanson rock n’ roll classique de Velvet Underground et j’invite n’importe quel mélomane à ne pas se sentir vibrer en écoutant cette guitare qui s’empare de nous jusqu’à la toute fin. Je mets aussi au défi n’importe qui de ne pas sourire en écoutant «Beginning to See the Light», où Reed chante comme un p’tit gars euphorique qui vient d’embrasser sa première fille.
Lou Reed a toujours laissé les femmes de son groupe chanter ses mots, alors la batteuse Maureen Tucker fredonne «After Hours», d’une irrésistible simplicité, pour conclure l’album le moins Velvet Underground de leur carrière. Affirmer une telle chose n’est pas peu dire, car chaque œuvre du groupe a une personnalité complètement distincte. Reed connaîtra son 15 minutes de gloire comme artiste solo dans les années 1970 avec l’album Transformer, aidé de son apprenti-devenu-acolyte David Bowie.
Les punks ont vénéré le Velvet Underground dix ans plus tard pour leur son cru qui ne faisait aucun compromis. Cet album, probablement le plus mélodieux et personnel de la carrière de Reed, s’inscrit dans une autre valeur intrinsèque au punk, certes, mais au rock n’ roll en général: celle de l’honnêteté. Et ça, c’est sacré.