MusiqueLes albums sacrés
Crédit photo : Epic
Je crois que cela s’explique notamment grâce au talent et à l’originalité des membres du groupe. Premièrement, on ne peut passer sous silence la voix de Zack de la Rocha; de toute façon, c’est impossible de ne pas la remarquer. Il réussit à incorporer un ton très agressif, voire rageur, à son rap. Il crache ses paroles avec ressentiment et fureur. Bien qu’il ait une voix gutturale et qu’il aurait pu être un chanteur métal, le hip-hop (et le mouvement contestataire qui y est intimement lié) reflétait davantage la personnalité et les aspirations du chanteur. Son flow et ses cris sont la matérialisation de la colère envers l’inconcevable et de la contestation justifiée.
Et, bien sûr, il y a Tom Morello. Quel guitariste innovateur! Entre vous et moi, je n’affectionne pas particulièrement les jeux de guitare savamment construits ou qui s’éternisent au nom des prouesses techniques. Mais Tom Morello, à mon humble avis, est dans une catégorie à part. Inventif, il parvient à créer des riffs bruts mais sophistiqués. Il a inventé des sons en utilisant les pédales et en faisant de la réverbération avec son instrument. Il parvient même à imiter le bruit du scratching (c’est notamment le cas sur l’extrait «Bulls On Parade»).
De plus, les musiciens partagent une vision commune des enjeux politiques (de gauche, altermondialiste, contre l’impérialisme culturel, anticapitaliste…) Pour les adolescents et les jeunes adultes, il est facile de s’identifier à la colère de Rage Against the Machine. Le son est si puissant, les textes sont intelligents et surtout révélateurs de graves problèmes sociaux et politiques. Mais surtout, on s’éloigne du courant dominant, de la pop de type bonbon. Pour mieux vous situer (ceux qui sont trop jeunes pour s’en souvenir!), 1996 est l’année où le monde entier était sous l’emprise des Spice Girls et des Backstreet Boys. L’esprit revendicateur tombe au bon moment, car plusieurs jeunes ressentent une colère qu’ils parviennent difficilement à expliquer; entrent en scène des groupes comme RATM qui justifient notre colère et la légitime.
Alors oui, je crois que les gars de Rage ont persisté et signé, ils n’ont jamais fait de compromis, ont accepté de prendre position, mais surtout de créer une musique à leur image; honnête, directe, violente et ancrée dans la réalité. Cet album a bien vieilli et il sonne toujours comme une tonne de briques, même aujourd’hui.
Le charme de la première impression, dans ce cas-ci, le disque homonyme (1992), est difficile à battre. Cette fusion des genres (rap, métal, funk et punk) était peu commune à l’époque, mais cela s’est rapidement propagé et est devenu un style reconnu. La force de Rage Against the Machine est d’être demeuré fidèle à lui-même, et Evil Empire est une offrande solide. Ce disque s’inscrit donc dans la continuité, sans se renouveler, mais en poursuivant dans la voie amorcée. Le groupe démontre ainsi son talent et sa constance pour les paroles incisives, les riffs de guitare hallucinants, les jeux de batterie et de basse qui ajoutent une touche très funk au son; cet amalgame leur confère une identité unique.
En ce sens, l’influence de RATM est encore bien présente et elle le sera pour plusieurs décennies à venir.