MusiqueLes albums sacrés
Crédit photo : 4AD
Le yin et le yang, réunis en 38 minutes
À mi-chemin entre le rock abrasif des débuts et des mélodies plus accrocheuses, l’album nous offre un formidable condensé de rage brutale, ponctué çà et là de moments lumineux. Mais ce tour de force, d’une rare puissance, a pris vie après des mois de débats et de remises en question.
En effet, l’arrivée du producteur Gil Norton a apporté une nouvelle perspective et de nouvelles idées au sein du groupe, notamment lors de l’enregistrement de l’opus. Son désir d’ajouter un côté plus pop aux compositions très rugueuses et garage de Black Francis, qui signe tous les nouveaux morceaux, a mené à certains différends artistiques.
En fin de compte, ce sont ces deux visions certes aux antipodes qui ont donné à Doolittle ce son aigre-doux si particulier. Ainsi, des morceaux rageurs et bruts comme «Tame», «Crackity Jones» et «Dead» côtoient des pièces beaucoup plus accrocheuses et structurées comme «Here Comes Your Man», un véritable hymne qui marquait la fin d’une décennie.
On a droit à un côté très raw et un côté plus givré sur fond de thématiques surréalistes.
Le groupe sort même le violon et la contrebasse sur le brûlot environnementaliste «Monkey Gone to Heaven». Gil Norton aura assurément marqué un virage plus «progressiste» et progressif au sein du groupe.
L’album de la flexibilité
Si Surfer Rosa signait le point culminant des Pixies en termes de son pesant et abrasif (gracieuseté du producteur Steve Albini), Doolittle marque un temps nouveau, avec un son plus souple, des moments franchement agréables (comme sur «La La Love Yo»), mais parfois assombris par des incursions plus chaotiques. On est brassé et charmé à la fois, ce qui en fait un album intemporel qui s’apprécie encore très bien aujourd’hui, tant pour les néophytes que les nostalgiques.
Dès l’ouverture, l’opus laisse à entendre un son typiquement Pixies! «Debaser» nous insuffle une bonne dose de rock vitaminé, avec des guitares distorsionnées, ses références énigmatiques (la pièce évoque notamment le court-métrage Un chien andalou de Luis Buñuel), et des lignes de basses si distinctes, signées Kim Deal. La troisième piste, «Wave of Mutilation», est un exemple parfait de cet équilibre artistique entre le rock furieux et les productions plus «travaillées». Le tout, en deux minutes, top chrono!
Et l’album se conclut finalement de brillante manière avec l’irrésistible «Gouge Away» et ses références bibliques à Samson. Black Francis a d’ailleurs décrit ce morceau comme étant le meilleur de tout l’album.
Bien avant Nirvana, il y avait les Pixies…
Ce Doolittle, certifié disque d’or six ans après sa sortie, occupe une grande place dans le catalogue musical du groupe, ressuscité en 2014. Des morceaux comme «Hey» sont devenus de véritables pièces d’anthologie, par leur son original, leur finition irréprochable, et les prouesses techniques de Kim Deal et du guitariste Joey Santiago, qui épaulent à merveille le leader Black Francis.
Et il faut se l’avouer: l’essence Pixies est encore là: des pièces courtes, énigmatiques, souvent rentre-dedans, sans aucun flafla. Il n’est jamais trop tard pour (re)découvrir cette œuvre majeure, qui posera les jalons sur ce qu’allait devenir plus tard le son grunge de la scène musicale de Seattle.
Comparez donc la mélodie de «Wave of Mutilation» à celle de «Smells Like Teen Spirit» de Nirvana pour constater l’influence évidente!