MusiqueL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Antoine Bordeleau
Jon, tu es le fondateur et directeur d’Indie Montreal, une compagnie montréalaise spécialisée dans le domaine musical. Vous offrez divers services, notamment des relations de presse, du street marketing, de la gérance de production, de l’achat de spectacles, et bien plus. Au départ, dans quel esprit as-tu décidé de fonder cette entreprise culturelle à Montréal, et c’était pour répondre à quel besoin?
«Avant, j’étais diffuseur indépendant, et ce, pendant plusieurs années. J’ai remarqué qu’il y avait un manque accru de services d’accompagnement dans la province pour les artistes qui n’étaient pas signés chez une maison de disque québécoise. Je parle ici d’artistes québécois, mais aussi d’artistes anglo-canadiens et internationaux qui avaient souvent des équipes basées sur un autre territoire, et qui étaient moins à l’aise avec le marché québécois.»
«J’ai donc décidé de changer notre modèle d’affaires afin d’offrir des services à la carte aux artistes et aux compagnies de musique, mais sans être un label. Dans le reste du monde, ce type d’entreprise s’appelle un label services company. Mais au Québec, on n’avait pas du tout cette notion-là. Je pense qu’on était même l’un des premiers dans la province.»
Ce lundi, on a reçu par voie de communiqué une communication de votre part autour du hashtag #SoutenezNosScènes, une initiative mise en place au Canada ayant pour but premier de soutenir les salles indépendantes. Qui, à part toi, est derrière ce projet, et qu’est-ce qui vous a poussés à lancer cette initiative récente?
«Environ 300-400 salles de spectacles, agents de spectacles et diffuseurs-promoteurs indépendants se sont regroupés sous la bannière de la Coalition canadienne des salles indépendantes (CCSI). Parmi nos membres, un groupe de travail d’environ 15 à 20 personnes dans tout le Canada s’est formé pour travailler sur la campagne #SoutenezNosScènes. Je fais partie de ce groupe de travail, qui inclut des salles, des promoteurs et des associations de représentants des sous-secteurs de l’industrie musicale. Et notre motivation est claire: 9 salles de spectacles indépendantes sur 10 vont mourir sans un appui financier très important du gouvernement, car elles ne sont pas éligibles actuellement à l’aide fédérale sectorielle pour la culture.»
Sur le site Soutenez nos scènes (en anglais Support Canadian Venues), vous avancez que 96% des entreprises de musique indépendantes québécoises et canadiennes seront forcées de fermer leurs portes dans les 6 prochains mois si le gouvernement fédéral ne vient pas à la rescousse. Plus exactement, quelles sont les principales cibles touchées par la crise, et à quelle hauteur une aide financière aiderait à sauver, en partie ou en totalité, l’écosystème culturel?
«On parle de ces mêmes salles de spectacles, agents de spectacles et diffuseurs-promoteurs indépendants. Quand on parle d’acteurs indépendants, on parle de compagnies qui ne sont pas financées en temps normal par le gouvernement.»
«Du côté de la musique enregistrée, le ministère du Patrimoine canadien finance les OBNL et les organismes à but lucratif, comme les maisons de disques. Du côté de la musique live, on ne finance que les OBNL. Il y avait un énorme angle mort, et ce, même avant la crise, une faille systémique qui s’amplifie en ce moment alors qu’on traverse toujours une pandémie. Les organismes qui sont déjà financés en temps normal ont déjà reçu de l’aide financière en urgence du gouvernement à travers les programmes de subvention existants.»
«Par contre, les entreprises n’ayant pas déjà une relation avec le gouvernement (pour des raisons qui ne sont pas du tout de leur ressort) semblent avoir été oubliées. On parle de la vaste majorité des compagnies en musique live au Canada, comme au Québec, qui présentent l’énorme majorité des spectacles sur le territoire, et qui, jusqu’à présent, étaient exclues de l’aide sectorielle fédérale. On parle d’entreprises essentielles qui ont zéro revenu depuis le 13 mars.»
«Ce sous-secteur est la fondation de l’écosystème musical et, s’il tombe, on n’aura aucune industrie musicale vers laquelle se tourner après la crise. La solution, c’est une aide très décisive du gouvernement – non pas des miettes, mais des montants très conséquents.»
Déjà, cette semaine, on a senti les contrecoups de la crise avec la fermeture récente de la petite salle La Vitrola, située au 4902, boulevard Saint-Laurent, lieu culte de la scène underground montréalaise qui pouvait accueillir jusqu’à 220 spectateurs. 250 concerts y étaient organisés chaque année, quand même! C’est une grande perte pour le milieu… D’après toi, quel impact la disparition des petites salles peut-elle avoir pour les musiciens et leur avenir professionnel?
«S’il n’y a pas de petites salles, il n’y aura pas de grandes salles, ni de festivals ni de star system ni de culture musicale distincte québécoise. Aucun artiste ne commence sa carrière en jouant au Centre Bell, au MTELUS ou au Club Soda. Il y a quelque chose qui s’appelle en anglais the venue ladder et qui a été l’objet de plein de recherches et d’études. Il s’avère que toute l’écologie du spectacle dans une ville et sur un tel territoire repose sur l’existence de petits lieux de diffusion, lesquels alimentent le reste du marché. Les petites salles de spectacles forment la fondation du secteur. Si la fondation s’écroule, le reste de la maison suit.»
En définitive, on aimerait te laisser carte blanche pour que tu nous partages ton mot de la fin, ou plutôt le message que tu aimerais faire passer auprès de nos lecteurs pour les sensibiliser à cette cause. Si on est chanceux, il va se rendre aux bonnes oreilles, ce qu’on espère grandement.
«J’espère bien que Steven Guilbeault lit la Bible urbaine! Le manque d’appui pour venir en aide à l’industrie du spectacle indépendante est un angle mort des bailleurs de fonds culturels depuis plusieurs décennies, et ce, à travers tout le Canada. Si l’industrie musicale enregistrée a réussi à avoir l’attention du gouvernement dans les années 1980 et 1990, l’industrie du spectacle n’était alors pas en mesure de les suivre. Depuis, les revenus venant des ventes de produits enregistrés sont devenus presque facultatifs pour la majorité d’artistes et les revenus liés aux spectacles dominants.»
«Par contre, comme les roues du gouvernement roulent moins vite qu’une tortue aînée, notre système de financement ne s’est pas renouvelé pour prendre en compte cette nouvelle réalité. L’apport des entités qui diffusent l’énorme majorité des spectacles au Québec et au Canada, permettant ainsi aux artistes de vivre, a été systématiquement ignoré. Ces désavantages systémiques s’accentuent depuis le début de la crise, et le gouvernement est le seul à pouvoir sauver notre industrie.»
«C’est pour cette raison précise que nous demandons aux amateurs de musique de s’exprimer – sur les réseaux sociaux et en écrivant à leurs élus. C’est pour cette même raison qu’on demande aussi aux artistes de s’exprimer afin de faire comprendre à quel point les salles de spectacles indépendantes ont été et sont toujours déterminantes pour leur carrière.»
«On a reçu des témoignages de plusieurs artistes canadiens tels que The Tragically Hip, Metz, Broken Social Scene, Blue Rodeo, Corb Lund, The Birthday Massacre et plusieurs autres. L’existence des salles québécoises est aussi menacée, et c’est le temps ou jamais que les artistes d’ici s’expriment sur le sujet, car leurs voix portent loin.»