La réédition de «Turn on the Bright Lights» d’Interpol – Bible urbaine

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La réédition de «Turn on the Bright Lights» d’Interpol

La réédition de «Turn on the Bright Lights» d’Interpol

Des lumières difficiles à éteindre

Publié le 11 janvier 2013 par Mathieu St-Hilaire

Crédit photo : http://static.nme.com

L’étiquette Matador a décidé de souligner le dixième anniversaire de l’album phare Turn on the Bright Lights du groupe new-yorkais Interpol. Pour ce faire, non seulement l’album a-t-il été réédité, mais on y a également ajouté un disque contenant des chansons rares et des enregistrements tirés des mythiques «Peel Sessions». De plus, on y retrouve un DVD avec prestations live et les trois vidéos associés à l’album. Bref, du bonbon en ce début d’année tranquille en matière de sorties d’albums.

En septembre 2003, Interpol joue dans un Club Soda plein à craquer un concert mémorable (avec entre autre The Stills en première partie). Doté d’une élégance qui ne fait aucun doute et muni de chansons dont on s’imprègne, le groupe est au sommet du monde indie. C’est que moins d’un an auparavant, l’album Turn on the Bright Lights est venu changer le paysage rock d’étonnante façon.

Dix ans ont passé et l’impact du disque se fait encore entendre. Et, contrairement à une pléiade de groupes qui ont eu un battage publicitaire non-mérité à l’époque (on se rappelle The Vines ou Black Rebel Motorcycle Club), l’histoire d’Interpol nous confirme que la frénésie médiatique les entourant était justifiée. En effet, avec le recul, on se rend bien compte que le premier album du quatuor représente un travail remarquable qui passe haut-la-main le test du temps.

Le tout débute avec la splendide «Untitled», aperçu idéal de ce qui s’en vient par la suite. Sur ambiance fragile et mystérieuse, Paul Banks murmure, sans trop se révélé: «A surprise, sometimes, will come around/I will surprise you sometimes/I’ll come around/When you’re down». Après un climax où guitares mélancoliques s’accompagnent merveilleusement, la chanson retourne lentement dans l’obscurité, d’où elle est vraisemblablement née.

La première moitié de l’album demeure à ce jour irréprochable. «Obstacle 1» est toujours aussi intense à écouter avec ses guitares pesantes dans les refrains et ses changements de dynamiques. «PDA», avec son rythme saisissant et accrocheur en première partie, bascule dans une finale instrumentale qui laisse encore sur le derrière. Et alors que plusieurs critiques s’amusaient à comparer Interpol à Joy Division (à juste titre à certains niveaux seulement), la chanson «Say Hello to the Angels» nous fait plutôt revisiter «This Charming Man» du groupe The Smiths, sauf en y ajoutant du muscle et du mordant.

Mais le cœur d’Interpol bat surtout avec «NYC», chanson devenue, un peu malgré le groupe, emblématique de New York après le 11 septembre. À la fois majestueuse et vulnérable, elle réussie à capter l’esprit d’une ville endommagée, teintée d’incertitudes et de noirceurs. Et bien que Paul Banks ait parfois la réputation d’écrire des textes très opaques, difficile d’écrire des lignes plus transparentes que celles-ci: «I had seven faces/Thought I knew which one to wear/I’m sick of spending these lonely nights/Training myself not to care». «NYC» représente sans contredit un des plus grands moments du groupe.

La deuxième moitié du disque ne manque pas de pièces solides non plus. «Stella was a diver and she was always down» mélange habilement la tension et les passages plus calmes, pendant que Paul Banks dresse un portrait de Stella, qui pourrait être une prostituée ou une junkie, avec qui le narrateur entretient définitivement une relation passionnelle mais malsaine. Lyriquement, Banks semble très influencé par Lou Reed ici: personnage féminin tourmenté, images d’une métropole étouffante et références sexuelles évidentes.

Plus loin, « Roland » représente sans contredit la pièce la plus énergique, même si elle est très sombre. «The New» débute tranquillement et mélodiquement, mais, à mi-chemin, passe à un climat où guitares affolantes et rythmes pesants s’entrechoquent. Finalement, «Leif Erikson» nous amène pratiquement dans le même état d’esprit que «NYC»: chanson d’une sublime beauté et riche en subtilités qui conclut magistralement l’album. Encore une fois, Banks y montre une émotivité étonnante, flirtant avec la romance: «She feels that my sentimental side should be held with kids gloves/You come here to me/We’ll collect those lonely parts and set them down».

Au début des années 2000, New York était une véritable pépinière à groupes rock. Alors que plusieurs parlaient d’un « son new yorkais » en parlant de plusieurs de ces bands, on constate avec le recul une importante variété parmi ceux-ci. Il est facile de classer Interpol avec The Strokes, The Walkmen, The Rapture, TV on the Radio ou même les Yeah Yeah Yeahs, mais en écoutant bien on se rend compte que chaque artiste avait quelqu’un chose de bien distinct à offrir.

Évidemment, Turn on the Bright Lights n’est pas Nevermind ou OK Computer. Son impact n’est pas aussi grand que ces grands albums. Toutefois, l’album vieillit très bien et la qualité des compositions est exceptionnelle. Le son du groupe y est bien défini, même s’il n’est pas révolutionnaire. L’influence de l’album est probablement plus grande qu’on ne le pense, étant donné l’émergence de plusieurs groupes post-punk de New York (mentionnés plus haut) dans les années suivantes. De plus, on pourrait également attribuer à Interpol le rôle d’avoir pavé une voie à des groupes anglais comme Franz Ferdinand, Editors, British Sea Power ou bien Bloc Party quelques années plus tard. Sans faire d’immense coup d’éclat, Interpol a quand même contribué à renouveler le rock au début des années 2000. La réédition de Turn on the Bright Lights s’adresse peut-être à notre côté nostalgique, soit, mais elle nous rappelle aussi qu’un album d’une telle brillance ne pourra jamais rester figé dans le temps.

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