Crédit photo : Bobby León
«Moto»: un tournage pas comme les autres
Les jours se suivent et ne se ressemblent pas; c’est la même chose pour les tournages.
Ça fait longtemps que je roule ma bosse en musique, alors au fil du temps, j’ai tourné beaucoup de vidéoclips dans les conditions les plus variées, pour le meilleur et pour le pire.
Je sortais récemment «Moto feat. Ragers» (issue de l’album Tout est différent). Nous avions eu l’idée, pour cette chanson, de créer un clip à mi-chemin entre la perfo live et le vidéoclip traditionnel. De cette façon, se disait-t-on, on aurait le meilleur des deux mondes! L’idée semblait géniale; on a donc approché donc le réalisateur Carlos Guerra qui a immédiatement embarqué dans le trip.
On a peaufiné notre concept. J’allais performer (en vrai live) au bord d’une route déserte, puis à la fin du deuxième couplet, Jake des Ragers (un motocycliste aguerri) passerait juste au bon moment pour me ramasser sur sa moto. La suite serait filmée à l’aide d’un drone; on aurait droit à des paysages grandioses, en cavale sous le soleil, des routes de campagne idylliques…
Bref, ça semblait simple!
Puis sont venues les questions… Comment allait-on trouver du courant pour brancher mon set-up livelooping dans un champ de maïs? Comment calculer le timing exact pour l’arrivée de la moto? Comment enregistrer la portion live? Comment gérer le maquillage au bord d’une route poussiéreuse? etc., etc.
Notre budget étant limité, il a donc fallu mettre en action le système D. Et heureusement que Carlos est une personne pleine de ressources.
Il est parti à la chasse et nous a dégoté la route de campagne idéale près de Saint-Lin; pas un chat à l’horizon. On serait en paix pour tourner.
Il nous a trouvé également une batterie, un motorisé, des plans bouffe, une maquilleuse game de travailler dans ces conditions, une station d’essence abandonnée… bref, tout était réglé. C’était décidé, on ferait ça à la punk, sans autorisation de la police (trop compliqué).
Caracol. Photo: Lori Éthier
Le matin du tournage, on arrive sur les lieux… SURPRISE! La route est beaucoup plus passante que prévu. Au lieu du silence, le bruit incessant des moteurs… Les voitures et les camions passent non-stop. La bordure est super étroite. J’installe mes machines au bord du chemin; je me sens carrément en danger.
Nous n’arrivons pas à avoir un bon cadrage… On essaie quelques prises; quel échec!!! Chaque fois, une voiture arrive, déversant un jet de poussière sur mon beau maquillage. Jake ne peut pas démarrer au bon moment… Les automobilistes nous regardent croche. Certains klaxonnent, on est dans le chemin.
Je panique intérieurement. Ça ne marchera jamais.
Entre en scène ma wizz de gérante Lori Éthier. Dotée d’une motivation incroyable et de sa légendaire détermination, elle part d’un pas décidé se poster 100 mètres plus loin, au beau milieu de la route – où les chars circulent tout de même à 70 km/h!
Elle a bloqué le trafic en gesticulant pour qu’on puisse réussir nos prises. Armée de son seul sourire, elle a arrêté les voitures, jasé aux conducteurs, elle les a fait poireauter pendant de longues minutes.
En gros, elle leur a expliqué que leur patience… c’était pour le bien de la culture!!!
Croyez-le ou non, ça a marché!
Lori a bloqué par moments des files d’une cinquantaine de voitures. À la fin de chaque prise, elle a ouvert le trafic, laissant passer les automobilistes en les remerciant chaleureusement. Toute l’équipe envoyait des mercis, des beaux bye-bye. La scène était surréaliste.
Caracol et Ragers. Photo: Lori Éthier
Et le plus surprenant, c’est que personne n’a appelé la police!!! Je pense qu’on aurait pu avoir une très grosse amende. Nous avons bien eu quelques frustrés, mais vraiment très peu, toutes choses considérées.
J’aimerais donc remercier la population de Saint-Lin pour sa précieuse collaboration à ce tournage pas comme les autres.
Comme quoi, parfois il faut oser! Et ça en a valu la peine: le vidéoclip a été vu plus de 600 000 fois sur Facebook seulement. 🙏🔥😎
Éric Dumais
Rédac' en chef mordu de lecture et d'arts vivants
Passionné de yoga, de méditation, de littérature et d'arts de la scène, Éric jongle au quotidien pour satisfaire ses envies du moment.