«La mort est un jardin sauvage» de Sarah Toussaint-Léveillé – Bible urbaine

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«La mort est un jardin sauvage» de Sarah Toussaint-Léveillé

«La mort est un jardin sauvage» de Sarah Toussaint-Léveillé

Maîtriser l’art d'extérioriser ses sentiments

Publié le 3 mars 2016 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Jerry Pigeon (photos), Mathilde Corbeil (design graphique)

Presque quatre ans après La mal lunée, l'auteure-compositrice-interprète Sarah Toussaint-Léveillé nous revient avec La mort est un jardin sauvage, un projet qu’elle a elle-même piloté aux côtés de Socalled, afin de donner un produit avec lequel elle serait en complète harmonie, qui lui ressemblerait et pour lequel elle ne ferait aucun compromis. Le résultat est étonnant de maturité et apparaît comme un disque certainement très réfléchi.

Ça nous frappe dès la pièce d’ouverture «Ta tempête» et ne nous quitte qu’à la toute fin de l’album: Sarah Toussaint-Léveillé est allée puiser dans une profondeur, dans une certaine noirceur même, pour composer ces dix nouvelles compositions originales. Sur la première piste, on a l’impression de naviguer entre les guitares électriques pesantes à la Salomé Leclerc, et la douceur et la sensibilité de l’univers de Catherine Major, dans l’émotion de la voix, bien supportée par des arrangements musicaux délicats mais assumés, grandioses. Les arrangements des cordes par Socalled sont magnifiques, et ils supportent une chanteuse très touchante dans cette maturité nouvelle.

«Pas à pas» se révèle déjà comme étant plus éveillée et dynamique, avec ses cordes pincées, son piano animé et sa guitare bien rythmée. Le texte, livré de façon presque parlée mais avec une musicalité dans le débit, permet à la chanteuse de poser sa voix pour traiter d’un sujet délicat: l’auteure fait référence à l’histoire d’Huguette Gaulin, qui s’est immolée par le feu en criant «Vous avez détruit la beauté du monde», et qui a inspiré Plamondon pour son «Hymne à la beauté du monde». Encore une fois, on est touchés, et ça ne s’arrêtera pas là, puisque malgré son refrain aux sonorités un peu plus électroniques, presque comme une chanson dansante (mais plus lounge que boîte de nuit!), «La Guitomane» présente de belles nuances dans la voix de la chanteuse, qui se rend davantage en hauteur, dans une certaine fragilité. Très entraînante, cette pièce ravit dès la première écoute.

«L’écurie humaine» est très douce et lente, mais un peu linéaire, alors que «Mille et un cris» est plutôt lourde, pesante autant dans son instrumentation que dans son rendu et son effet sur l’auditeur. Paradoxalement, cette dernière possède le texte le plus court des dix morceaux, mais est finalement la chanson la plus longue, car livrée avec une lenteur qui détache et allonge chaque syllabe, rendant presque impatient. Elle nous mène très bien vers la chanson qui la suit, «L’escargot», car «Mille et un cris» est vraiment, elle, «comme un escargot qui traîne / sa carapace lourde / un escargot lent, lent, lent» («L’escargot»). Il s’agit toutefois des seuls reproches que l’on saurait faire à cet opus, sur lequel Sarah Toussaint-Léveillé est même passée maître, jouant de plusieurs instruments sur chaque morceau, tout en étant l’auteure et la compositrice de chacune des pièces.

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Les cordes sont prédominantes tout au long de l’opus; sur «J’ai perdu un ami», notamment, les arrangements de Michael Dubue mettent en valeur le son grave du violoncelle de Jean-Christophe Lizotte, qui confère une profondeur et une intensité au morceau, allié aux violons de Pemi Paull. Sur «Prison voyageuse», c’est plutôt une harpe (Jennifer Swartz) qui nous interpelle de magnifique façon. Les cordes pincées amènent aussi une certaine légèreté à «L’escargot», tandis que les cordes frottées à la contrebasse donnent une belle profondeur à ce morceau lucide qui porte comme dernier vers la belle morale de son histoire: «Je ne veux pas de ta peur pour bagage».

La théâtrale «Wake Up Without a Passion», seul morceau en anglais du disque, accueille quant à lui une magnifique touche de clarinette (André Moisan) pour une pièce plus jazzée, très cabaret. Ce style sied très bien à Toussaint-Léveillé, qui offre dans cette chanson beaucoup de belles nuances, et aussi des changements de tempo et d’ambiances, ainsi qu’un chœur intense, donnant un résultat qu’il est difficile de ne pas aimer! Chaque piste de La mort comme un jardin sauvage a indéniablement une petite singularité, une beauté qui nous touche, mais c’est en fin de parcours, sur «Dans mon cahier (la musique me glisse entre les doigts)» que l’artiste se permet plus de s’envoler, de se donner une liberté plus grande au niveau de l’interprétation, en sortant de l’espèce de carcan un peu plus régulier, sans grand éclat ou envolée, entendu sur le reste du disque.

Sans doute le meilleur morceau de l’opus, très varié en termes d’instrumentations, de styles entendus, cet ultime tableau est aussi très coloré, comprenant une strophe en anglais, presque livrée en rap de façon très rythmée, mais dans une ambiance en même temps très jazzée. Le tout est très réussi, et quand Sarah Toussaint-Léveillé nous parle de sa passion, la musique, en nous chantant «La musique me glisse entre les doigts / Et dans mon cahier / J’écris, j’écris / La musique me glisse entre les doigts / Et dans mon cahier / Je crie, je crie», on a envie de lui dire de continuer à crier ainsi, à extérioriser ses pensées et émotions – aussi sombres soient-elles – sur papier, si c’est pour nous livrer d’autres disques aussi poignants, sincères et maîtrisés.

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