«La Morsure» de Fred Métayer – Bible urbaine

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«La Morsure» de Fred Métayer

«La Morsure» de Fred Métayer

Laisser son empreinte musicale intacte

Publié le 15 novembre 2013 par Manuel Yvernault

Crédit photo : Sakifo Records

Découvert en 2003 au détour d’un mini concert, Fred (devenu Fred Métayer) a semé ses albums comme on sème de précieuses graines, avec parcimonie, sur une dizaine d’années. Trois albums en une décennie, c’est certes peu par rapport à d’autres artistes, mais la qualité des deux premiers disques de cet auteur-compositeur méritait probablement une telle attente.

Cinq années après son dernier disque, La Morsure voit donc le jour. Cinq années pour livrer un album qui marque une légère rupture dans ses compositions. Cinq années, cela peut aussi être une fracture avec un public; on peut évoluer, se tourner vers des genres musicaux différents et laisser un artiste sur le bord de la scène.

Installons d’abord le décor: il y a dix ans, dans la musique francophone, rares étaient ceux qui avaient marqué nos émotions et encore moins ceux qui s’approchaient de la dépendance (Gainsbourg, Brel, Ferré, Miossec, Darc et… c’est tout ou presque). Du classique, en somme, mais de vrais auteurs; des artistes. Difficile de nous séduire autant en terme de compositions que de textes. Et puis la vague germanopratine nous donnait l’impression d’une facilité déconcertante et presque écœurante, d’un courant musical qui se caricaturait lui-même (exception faite de Benjamin Biolay). Facile diront certains.

Et puis sans explication, comme par surprise, la découverte des compositions de Fred nous séduit immédiatement, sans explication, un simple ressenti, direct. Des textes, une voix (aussi? surtout?), sa propre musicalité. D’un seul tenant, un compositeur français nous parlait, sortait du lot.

Sur scène, dans son style, on repensait à Joseph Arthur et ses premiers concerts. Un seul artiste sur scène, mais le sentiment de voir un vrai groupe sur certains titres. Dix années donc, sans se lasser de ses compositions, imprégnées de ses nombreux voyages à travers le monde. Il nous parlait de nous, de l’autre, de lui. Des textes profonds, d’autres plus légers, toujours imagés, qui laissaient place, parfois, à une libre interprétation, où la métaphore d’un refrain peut répondre au concret d’un couplet. Fred, on l’aimait comme ça, entre groove, acoustique, impro, compos et reprises (Noir Désir, NTM).

La Morsure, annoncée donc comme une rupture, pouvait suggérer quelques parenthèses avant son écoute. On espérait que la fracture ne serait pas trop grande à nos oreilles, qui ont également «pris» dix années de plus.

L’ouverture de l’album, «La marche en canon»,  est plutôt maline, un titre (presque le seul) qui nous rappellera les bons souvenirs des deux albums passés. On entrevoit alors des airs de «Toi et ton chat». Efficace, en mode «à l’ancienne». C’est ensuite que le voyage prend une autre direction des lieux précédemment visités. «S’enfuir à deux», qui séduit réellement, bien qu’après coup, indique le nouveau chemin entrouvert.

Plus porté par des textes personnels, La Morsure nous parle un peu plus d’attachements, de sentiments, avec ironie, déshabille le couple et l’orne de nouveaux apparats. Parmi eux «La règle de trois», jeu parfait de fond et de forme, «Souviens-toi» (composé avec Miossec, peu de hasard), s’avère une délicieuse charge verbale et musicale aux accents «fredien», guitare acoustique à la main, jolie vérité des mots au micro, où comment s’adouber du passé.

Et puis surgit le titre «Je ris encore», parmi les plus réussis de l’album (encore Miossec en co-auteur dans le texte). Douce montée du tempo, on semble même retrouver l’essence des premiers albums; le texte, répétitif, se place comme une décharge mélodique, emprunt d’un vrai rythme et d’une mélodie aux accents autant dramatiques que nostalgiques.

Si chaque titre des précédents albums devait trouver leur résonnance, «Souviens-toi» rappelle les lentes insurrections sentimentales de Fred, plus à nu dans ses textes et toujours sur les pentes de métaphores euphorisantes même après plusieurs écoutes. Et comme pour ne pas nous laisser trop moroses (aucune chance avec lui de toute façon), «Le goujat» vient s’immiscer à nos oreilles comme un autre titre phare de l’album. Plus produit que le reste, les chœurs discrets viennent résonner comme un hymne, un air bienheureux, entêtant, ironique de ses mots, envoûtant de son tempo, mélodies d’une guitar slide comme Fred sait si bien les créer.

Avant de clore l’album sur le titre le plus difficile à apprivoiser, «Les naïades» et qui, après plusieurs écoutes, s’avérera finalement une jolie manière de terminer le voyage, nous faisons un petit tour sur un autre texte en collaboration avec Miossec, «Les emmerdements», sarcasme de mesure, règlement de comptes en bonne et due forme, joli pied de nez aux histoires passées, composition toujours ornée d’une mélodie entêtante à la frontière de rythmes des îles.

Légère rupture plus que vraie cassure, Fred (Métayer) livre, cinq ans après son dernier opus, un album à déguster comme les précédents en prenant le temps de s’y plonger, de boire les textes et de déguster les mélodies. On y revient par envie et attiré autant par ses rythmes que ses textes principalement axés sur le passé à dompter.

L’auteur-compositeur a depuis quelques années ralenti ses voyages autour du monde et ses textes s’en ressentent. Plus ouvert sur lui-même, moins pudique et toujours empli de cette ironie bienvenue. Heureusement, il évite le piège des mots sirupeux quand un auteur aborde les relations sentimentales. Peu de choses à laisser de côté. Une morsure dont le venin ne trouve pas d’antidote quand on réussit si bien à mêler textes et compos.

Fred s’épanouit une nouvelle fois, sans se répéter, loin d’Odéon, on y retrouve un goût estival, celui des pelouses parisiennes foulées en août où les guitares résonnent à l’image des fins de soirées de pique-niques alcoolisés. Ne lui reste plus qu’à être plus exposé; difficile dans cette industrie qui confond marketing, chanteur «à textes» et auteurs-compositeurs avec une vraie sincérité et un talent constant. D’ici là, cette «morsure» laissera sa marque pour tenir, espérons-le, moins de cinq ans avant le prochain coup de croc aussi bien acéré.

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