«Julia With Blue Jeans On» de Moonface – Bible urbaine

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«Julia With Blue Jeans On» de Moonface

«Julia With Blue Jeans On» de Moonface

Comme une percée de lumière dans l’obscurité

Publié le 27 novembre 2013 par Emmy Côté

Crédit photo : Jagjaguwar

C’est pour contrer le pénible hiver finlandais, après avoir collaboré avec Sinaii, que Moonface a choisi de renouer avec le piano acoustique. Fruit de ces retrouvailles intimes, Julia With Blue Jeans On s’avère un pur délice expérimental. Fidèle à lui-même, Spencer Krug nous grise de ses mots avec l’intensité remarquable que nous lui connaissons. À la différence près que sa musique sobre mais non moins magnifique nous assaille avec plus de conviction encore.

Les compositions de Julia With Blue Jeans On apparaissent moins urgentes que sur Heartbreaking Bravery (2012) ou déstabilisantes que sur Organ Music Not Vibraphone Like I Hoped (2011). Accompagné de son seul piano, la démarche artistique de Krug est posée et sage si on la compare à ses œuvres précédentes, celles de Sunset Rubdown et de Wolf Parade comprises. On découvre Moonface avec moins de fioritures, voilà. Pourtant, la sobriété des morceaux n’empêche pas l’entité d’être grandiose. Pour être exact, on pense tout le contraire: elle ajoute au rendez-vous ultime, archi-poignant.

L’album commence avec un morceau envoûtant, quelque peu désorientant, mais absolument typique de la personnalité artistique de Krug, soit imagée et souvent culpabilisante. Intitulé «Barbarian», les notes du piano retiennent notre attention dès le départ, c’est simplement magnifique. En tête, nous revient très vite, on ne sait trop pourquoi, le caractère brut et percutant de Shup Up I Am Dreaming (Sunset Rubdown, 2006). En fait, la musique de Moonface se veut tout sauf superficielle; elle demande un état d’esprit particulier. Or, si on se trouve attelé pour le voyage émotionnel, il n’y a pas plus satisfaisant que de plonger dans le monde introspectif et mélancolique de cet artiste canadien.

Sur «Everyone is Noah, Everyone is the Ark», Krug continue de mettre à profit ce qu’il maîtrise le mieux: les textes truffés de références mythiques (ici, bibliques), les envolées et les structures musicales désordonnées. Comme d’habitude, de ces ingrédients, il réussit à tirer une chanson remplie d’âme. Parlant de moments vibrants, «November 2011» remporte la palme de l’honnêteté. Impossible de ne pas être désarçonné par l’intensité de ce morceau lorsque Moonface chante: «Baby we both know / Baby we both know we are both crazy / And we both know that you can stay as long as you would like to stay».

Au milieu de l’entité, on découvre «Dreamy Summer», une longue pièce de huit minutes, notamment intrigante pour ces enchaînements interminables de notes superposées et extrêmement dynamiques en fin de piste. Sinon, on préfère tout de même «The House You’re Living In» et «Black Back in Style», davantage mélodieuses et classiques à l’oreille.

La composition «Julia With Blue Jeans On» signe l’un des plus beaux moments de la nouvelle offrande. Moonface révélait en entrevue qu’il avait souhaité dépeindre la beauté en toute simplicité. Mission accomplie. Sur la chanson titre, il formule cette image forte, radieuse et imprégnée de poésie: «I’d say the only name worth singing Is not ‘God’ It’s you Julia / As beautiful, and simple as the sun / Julia with blue jeans on / Julia, as beautiful and simple as the sun / Just Julia with blue jeans on». Alors, l’ensemble piano-voix rappelle la recette éprouvée par Destroyer sur Trouble In Dreams (2008). Idem pour ces fameux «Ohhh ah da da da» qui boucle la pièce. D’ailleurs, l’influence de Dan Bejar, son ancien pair de Swan Lake, n’a jamais été aussi manifeste que sur cet album.

Bien que quelques zones d’ombres subsistent toujours chez Krug, la douleur présente sur Heartbreaking Bravery semble s’être apaisée. L’homme brisé qui avait choisi de quitter Montréal en 2011, suite à la séparation de ses deux autres bands et la fin d’une relation amoureuse, voit finalement renaître l’espoir. Et cet espoir se transpose dans ses paroles lyriques, par exemple à travers celles référant à un conte de fées sur la dernière chanson: «I need, I need something beautiful to carry / And you’re all I care about, babe / You’re all I care about, babe / Your hand is your wand / And your landscape is drawn / And your chariot awaits».

En somme, Julia With Blue Jeans On marie splendidement les incohérences. L’album nous confronte à une musique davantage minimaliste, mais pratiquement aussi exigeante à l’écoute. De même, les textes de Moonface, plus authentiques et directs, semblent avoir acquis en profondeur. Pour autant, quand il s’agit de chanter, ou de faire valser ses doigts sur un clavier, Krug s’enflamme toujours avec autant de passion! Avec ce troisième LP en autant d’années, Moonface se révèle au sommet de son art. Un disque à se procurer, point à la ligne.

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