MusiqueCritiques d'albums
Crédit photo : Bonsound et Raphaël Ouellet
À l’écoute de cette cinquième offrande de Philippe B, c’est rapidement le constat qui s’impose à nous: le musicien possède cet incroyable talent de faire côtoyer le majestueux grandiose et la douce simplicité pour confectionner des chansons marquantes à tous coups. Le magistral, il est partout: on le retrouve notamment dans l’instrumentation orchestrale d’une grande beauté, qui donne une tout autre dimension au récit d’«Explosion», et qui est aussi riche que sa voix parfois caverneuse, dès la pièce d’ouverture. Et il est aussi dans l’enchaînement qui se fait tout naturellement et sans coupure entre la chanson-titre et «Les disparus», la pièce instrumentale de clôture, qui nous laisse sur une note céleste grâce à l’utilisation de la harpe.
Si on constate aussi rapidement qu’Ornithologie, la nuit, son dernier disque, n’est pas bien loin dans les choix de mélodies et d’ambiances; on est aussi dépaysés, par moments, surtout grâce aux pièces qui utilisent à bon escient la voix divine de Laurence Lafond-Beaulne. Plus contenue sur «Sortie/Exit», cette ballade où l’homme qui regarde les passants s’imagine toutes sortes d’histoires tandis que la voix féminine lui remet les pieds sur terre en lui affirmant que tout ça n’existe pas, la voix de la moitié du duo Milk & Bone prend toute son ampleur sur «Rouge-Gorge», en milieu de parcours.
Relation malsaine entre un homme qui insiste sur la violence et la blessure, et une femme qui vit dans le déni et ne veut pas croire ou voir que son amoureux lui fait du mal? Ou plutôt un partage honnête de ses blessures et histoires mutuelles entre deux futurs amoureux qui désirent se voir tels qu’ils le sont avant de s’abandonner l’un à l’autre? Tout comme à la télévision, il y a là place à interprétation, et chacun peut se faire son propre scénario, mais dans tous les cas, la rencontre des voix chaleureuse de Philippe B et aérienne de Lafond-Beaulne est exquise.
La très bien nommée «Autoportrait (sans lunettes)», dont chacun des vers débute au «Je», est sympathique, alors que les cordes à la fois d’une grande douceur et majestueuses de «Debra Winger» volent la vedette. «La saison de tous les dangers» dépeint bien la fin d’une époque, d’une relation, lorsqu’il faut repartir à neuf avec «toute ma vie dans une boîte en carton déposée dans l’entrée». L’artiste ne semble pas trop vivre dans la nostalgie, cela dit, la chanson dégage néanmoins un esprit de douceur, livrée dans une atmosphère enveloppante.
Et même si la courte «Ellipse» est probablement la chanson la plus représentative du thème qui traverse La grande nuit vidéo, alors que le musicien nous y fait découvrir un couple qui se projette dans la fiction à la télévision («Nous étions toi et moi / nous serons elle et lui»), qui, une fois les émissions terminées, se réveillera sans avoir bougé de devant la télé, c’est malgré tout à «Interurbain» qu’on doit accorder une bonne écoute.
Cette superbe pièce oppose les villes de Rouyn-Noranda et de Montréal, telle une magnifique lettre d’amour aux deux villes, à travers le récit d’une conversation téléphonique relatant les différences entre les vies de Philippe B et de quelqu’un qui vit en Abitibi. Est-ce un père, un frère, un ami de longue date? L’important est toute la douceur des mots de l’auteur-compositeur-interprète envers son interlocuteur et l’absence totale de jugement pour l’un ou l’autre des deux modes de vie décrits. Parce que «tu sais la beauté se cache un peu partout, il faut l’apprivoiser pour qu’elle vienne jusqu’à nous».
Finalement, «Interurbain» décrit une Montréal un peu à l’image de la musique de Philippe B: elle est truffée de petites et de grandioses beautés; il suffit de s’en imprégner encore et encore pour saisir toutes ses subtilités et qu’on ne veuille plus la quitter.
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de la rédaction