«El Pintor» d'Interpol – Bible urbaine

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«El Pintor» d’Interpol

«El Pintor» d’Interpol

Franchir la barre de passage de justesse

Publié le 22 septembre 2014 par Emmy Côté

Crédit photo : Matador et Eliot Lee Hazel

Les New Yorkais d’Interpol, qui avaient décidé de prendre une pause en 2010 après le départ de leur bassiste et une longue tournée de 200 concerts, annonçaient plus tôt cette année les détails de leur cinquième album studio à paraître, El Pintor. Si l’on tient à donner du crédit à la nouvelle sortie, nommée selon une anagramme d’Interpol, on peut dire qu'elle fournit un esprit revitalisé et soutenu. Mais, en dépit de cette annonce d’entrée favorable, il n’y a que très peu de choses sur cet opus qui marquent durablement.

Lorsque le groupe a choisi de se réunir à nouveau en 2012, il l’a fait sans attente précise ni obligation formelle, comme l’a relaté le guitariste Daniel Kessler: «We had no plans whatsoever. I certainly didn’t have anything in my brain saying we had to do this. It was just us playing music to see if there was something there».

La reformation du groupe survient d’ailleurs à la suite du départ du bassiste Carlos Dengler en 2010, dont la contribution musicale ne pourrait être sous-estimée. Les membres ont dû ainsi se recomposer, se réaligner, de la même manière qu’ils ont manipulé les lettres d’Interpol pour former ce nouveau titre d’album, El Pintor.

Si Kessler s’agrippe toujours fermement à sa guitare et Sam Fogarino continue de livrer des percussions croustillantes sur la récente proposition, c’est Paul Banks qui porte secours à la basse, tout en conservant ses droits sur le chant. Par ailleurs, se joignant au trio de longue date, le claviériste de tournée, Brandon Curtis, vient offrir à El Pintor le savoir-faire qu’on lui reconnaît au sein des Secret Machines.

Mais avouons maintenant qu’on était ambivalent, voire suspicieux, à l’égard de cette nouvelle proposition d’Interpol. D’abord, les chances de voir apparaître un chef d’œuvre nous paraissaient assez faibles. En effet, les successeurs de Turn On the Bright Lights (2002) avaient fini par laisser un goût amer derrière eux, Interpol n’étant jamais en mesure de recréer l’atmosphère aliénant et poignant du premier album. Mais, on ne peut totalement le déplorer, un tel exploit aurait été plutôt incroyable.

Puis, dans la décennie suivante, est arrivé ce qui arrive à bon nombre de groupes qui rencontrent un grand succès: Interpol s’est vu incapable de s’affranchir suffisamment de son disque culte et de progresser vers autre chose d’intéressant musicalement et, à la limite, d’assez différent. Seul Antics (2004), au lendemain, avait fait réellement bonne figure avec sa liste de chansons accrocheuses, mais encore l’opus n’avait rien de tendu et d’aussi douloureusement brillant que tous les «Obstacle 1», «NYC» et «Stella Is a Diver and She Was Always Down».

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El Pintor, en ce sens, se libère davantage de la tutelle de l’album encensé, ce qui est un point non négligeable, un pas entamé dans la bonne direction. Par exemple, le groupe expérimente davantage avec «Same City, New Story», dont les guitares aigües et harcelantes, le clavier aérien et les chœurs lui définissent un style assoupli et indie rock, situé des lieues à la ronde de sa base post-punk qui le caractérisait à ses débuts.

Par contre, si on examine la profondeur et l’impact des compositions sur l’auditeur, le résultat se situe davantage dans les ligues pee-wee de Our Love to Admire (2007) et d’Interpol (2010) que dans les ligues majeures de Turns On the Bright Lights.

La plupart des chansons échouent lorsqu’il est temps de laisser une impression durable. Elles sont accomplies techniquement parlant, énergiques, cohérentes dans un tout, mais prises individuellement, elles ne collent pas suffisamment à la peau. «Anywhere» et «Ancient Ways» renferment une volonté de séduire et de frapper, or elles s’écoulent sans qu’on parvienne à vivre vraiment toute l’effervescence des musiciens. Avec «My Blue Supreme», sur lequel Banks chante plus haut qu’à l’habitude, elles tombent même dans une catégorie de bas niveau.

Plusieurs compositions méritent cependant des éloges. Le titre numéro un, «All the Rage Back Home», nous attire irrémédiablement avec son entrée en la matière à la «Next Exit» (Antics) de même qu’avec son beat up tempo tenace et ses chœurs qui nous tiennent pendus à lui jusqu’au bout. De plus, la piste suivante, «My Desire», se construit dans un crescendo bien programmé, Fogarino offrant une ponctuation intéressante aux guitares graduellement insistantes et acérées. Les deux dernières chansons également, soit «Tidal Wave» et «Twice as Hard», figurent parmi les meilleurs coups de cet album.

Interpol franchit donc la barre de passage de justesse, notamment parce que la maîtrise instrumentale sur chaque composition ne se dément pas. Mais, en fin de compte, bien qu’on admette le désir de revitalisation du groupe et les sonorités rafraîchissantes, El Pintor n’est pas un album qui impressionne tellement et qui marque fortement les esprits. En somme, c’en est surtout un comme tant d’autres…

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