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Crédit photo : Julien Lavoie
Après la grange qui avait vu naître À chacun son gibier en 2014, c’est la vieille école datant des années 1950 quelque part entre Montréal et Ottawa qui a servi de studio d’enregistrement pour Frédéric Levac (claviers, machines et voix), Marc-André Labelle (guitares et amplis) et Jean-Philippe Levac (batterie et percussions). Il n’y a pas de doute, Pandaléon accorde de l’importance aux lieux, ou plutôt, aux fantômes musicaux qui y rôdent.
Il faut croire que l’école a rempli sa mission, puisque les élèves se sont vus remettre quatre prix à Contact Ontarois en janvier dernier, qui leur permettent de se retrouver dans les futures programmations des lieux de diffusion de l’Ontario francophone, soit au Festival Franco-ontarien, au Festival de l’Outaouais Émergent, au Festival international de la chanson de Granby et aux Rencontres d’automne 2016 du ROSEQ.
L’art de dicter une ambiance
Théâtre des premières joies et désillusions, l’établissement scolaire abandonné depuis 15 ans à St-Bernardin, le village originaire des trois musiciens situé dans l’est de l’Ontario, incarnait parfaitement les premiers textes de l’album qui parlait de l’enfance. Et contrairement aux règles et aux horaires qui doivent être normalement rigoureusement respectés en ces lieux de savoir, la formation avait carte blanche et pouvait y errer aussi longtemps qu’elle le souhaitait pour composer et explorer les divers locaux.
Pratiquement toutes les pièces y sont passées: de l’impénétrable salle de bain des filles, au gymnase, en passant par les couloirs et le repaire du concierge. Un travail acharné de chasseurs de sons qui, certes, exigeait de déménager tout l’équipement d’un emplacement à l’autre, mais qui a donné un résultat fort attrayant: une trame intime et immersive qui nous plonge assurément dans des souvenirs et dont les mots superposés aux bruits de pas, de claquements de portes et autres sons insolites ne laissent pas de doute quant à l’endroit où on se trouve.
Dans la pièce instrumentale «Pythagore» d’une durée de moins de deux minutes, on peut y entendre des bruits de casier mélangés à de la réverbération, créant un univers fort en images du passé. Le rythme saccadé rural-industriel qui ouvre la chanson «Banny» colle également très bien au texte: «L’air empeste le Prestone / Monte dans le truck peu importe où.»
Et c’est bien là que repose tout l’intérêt de l’oeuvre de Pandaléon. Tout a été pensé pour créer une expérience, du choix des instruments jusqu’au traitement peaufiné réalisé en postproduction, avec la collaboration de Nicolas Séguin, preneur de son et assistant au mixage. Une démarche qui a le mérite d’être poussée jusqu’au bout.
Il n’y a pas de chansons surprises sur l’album, tout se suit logiquement et requiert une écoute de bout en bout. À la longue, la voix traînante donne un effet atone. Heureusement, les hautes variations musicales réussissent dans l’ensemble à puncher cette langueur, notamment dans «Bulk tank», qui prend un nouveau tournant à mi-chemin de la pièce. Si le parallèle entre le groupe et Karkwa était plus facile à faire dans À chacun son gibier, on sent une signature plus marquée dans cet opus, dont les rythmes hypnotiques nous rappellent davantage Radiohead ou Malajube, mais sans l’énergie électrisante qui vient avec.
L’album se termine en beauté avec la chanson «Atone», où les paroles vaporeuses semblent se perdre au loin et nous font flotter en apesanteur, en plus d’être magnifiées par la finale sur fond de violons «Le vide engourdit mieux que la distance / Tu n’es revenue que pour repartir».
Somme toute, l’exploration musicale est réussie et mérite de s’y lancer à pieds joints.
L'avis
de la rédaction