«Les albums sacrés»: le 30e anniversaire de Ainsi soit je de Mylène Farmer – Bible urbaine

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«Les albums sacrés»: le 30e anniversaire de Ainsi soit je de Mylène Farmer

«Les albums sacrés»: le 30e anniversaire de Ainsi soit je de Mylène Farmer

Sans contrefaçon, une grande artiste

Publié le 29 mars 2018 par Isabelle Lareau

Crédit photo : www.mylene.net

La rouquine a toujours eu une place de choix en France où elle est une vedette de grand calibre, mais aussi au Québec. Née à Pierrefonds, Mylène a huit ans lorsque sa famille quitte le Québec pour retourner vivre en France. Petite, elle était passionnée d’équitation et faisait du bénévolat auprès d’enfants handicapés. Après un court passage en études littéraires, elle se décide à suivre des cours en théâtre. C’est à ce moment-là qu’elle rencontre Laurent Boutonnat; il lui propose de chanter «Maman a tort»: ce morceau devient le premier, de plusieurs, succès pour le duo.

Elle écrit les paroles, il compose la musique. Avec sa voix cristalline et sa présence, elle est enivrante. Leur sens du rythme, alliant électro, dance et touches de rock, avec quelques notes de guitares déchirantes ici et là, frôle la perfection pop. Il est difficile d’écouter sa musique sans chanter les paroles soi-même à tue-tête (je tiens, par ailleurs, à m’excuser auprès des usagers des transports en commun)! Toutefois, avant que l’on ne découvre son talent, il fallait bien connaître la chanteuse.

Farmer et Boutonnat, tous deux amoureux du cinéma, s’investissent corps et âme dans les vidéoclips de Farmer. Ils misent sur l’apparence de la chanteuse, qui est fort jolie, mais surtout très photogénique. Ensemble, ils dévoilent son côté sexy. Et les vidéos n’étaient rien de moins que des mini-métrages. C’est ainsi que «Libertine», de sa première offrande, Cendres de Lune (1986) soulève la controverse en raison de sa nudité, mais devient également sa carte de visite.

Mylène, la libertine rebelle

Pour les besoins de la chronique, j’ai réécouté les clips de Mylène Farmer. Je me souvenais qu’ils étaient, certains du moins, plutôt osés. Mais à l’époque, il semble que les mœurs sociales étaient plus permissives. 

La pièce de résistance d’Ainsi soit je (1988) est la conclusion d’une histoire en deux chapitres; «Pourvu qu’elles soient douces (Libertine II)», mais amorcée avec «Libertine», de Cendres de Lune. Farmer et Boutonnat voient grand et s’inspirent du cinéaste Stanley Kubrick et de son film Barry Lyndon. Elle est Libertine, vêtue en homme et portant un maquillage des plus féminins. Elle fait la fête avec l’aristocratie et collectionne les conquêtes. Elle séduit un homme et croise sa rivale. Cette dernière attaque Libertine, qui sera sauvée par son amant. S’ensuit un duel qu’elle gagne, mais elle perd son compagnon alors qu’ils tentaient de fuir. La fin de ce récit constitue le premier segment de «Pourvu qu’elles soient douces», où Libertine est retrouvée inanimée par l’armée britannique, qui la recueille et la soigne. Le capitaine croit qu’elle est un homme, ce qui ne l’empêche pas de la déshabiller pour vérifier.

Le fait qu’elle soit sa prisonnière et qu’ensuite elle devienne sa maîtresse serait probablement décrié si ce vidéo était lancé en 2018. La rivale jalouse réapparaît et tente d’en finir avec Libertine…

Mais ce qui me fascine le plus à propos de Mylène Farmer, c’est le fait qu’elle ait joué la carte de l’identité sexuelle ambiguë, affirmant qu’elle était un garçon, jouant le rôle de l’orphelin plutôt que de l’orpheline (dans le vidéo «Désenchantée» du disque L’Autre…, 1991). En ce sens, elle était avant-gardiste, un peu comme Indochine dans les années 80, qui avait affiché ses tendances androgynes par le biais de ses paroles. L’exemple le plus marquant est l’excellent titre «Sans contrefaçon». Inspiré en partie par la célèbre chanson «Comme un garçon» de Sylvie Vartan, mais aussi de son enfance: Mylène, avec ses cheveux courts, passait pour un garçon et subissait les railleries des autres enfants. 

Mylène, la bouquineuse discrète

Une des grandes forces de la chanteuse, c’est sa plume. Elle écrit avec poésie et sensibilité, et est une amoureuse de la littérature et des «contes cruels pour enfants». Elle affectionne Edgar Allan Poe (comme le démontre la pièce «Allan»), Charles Baudelaire («L’horloge»), Oscar Wilde, Virginia Woolf… Cette passion pour les mots a été transposée dans ses paroles. Elle parvient sans difficulté à fignoler des phrases à double sens pour parler de choses qui pourraient être franchement vulgaires («Pourvu qu’elles soient douces»), mais qui, sous sa prose, sont délicates et puissantes. Elle ose la vulnérabilité et affronte des thématiques aussi personnelles que douloureuses, dont la mort, la solitude, la religion et le sexe.

Elle ne donne que très peu d’entrevues, ce qui s’explique par un triste incident en 1991, où un admirateur tua la réceptionniste de sa maison de disque, car celle-ci l’avait empêché d’approcher la chanteuse. Je crois aussi que cette part de mystère l’aide à construire le personnage qu’est Mylène Farmer, une artiste secrète qui flirte avec la noirceur humaine.

Plusieurs la comparent à Madonna. Il est vrai que les deux artistes contrôlent à 100% leur image et leur carrière, produisant elles-mêmes leurs concerts. En fait, lorsque je regarde ses prestations filmées, je vois aussi l’influence de Michael Jackson en plus de celle de Madonna. Costumes, décors gigantesques et ahurissants, danseurs, chorégraphies énergiques…

Il est vrai que la blonde ambitieuse et l’énigmatique rouquine assument, artistiquement, leur sexualité. Mais les deux chanteuses ont, selon moi, une attitude diamétralement opposée. Je soupçonne que cela n’est pas naturel pour Farmer, qu’elle le fait davantage pour appuyer sa démarche que pour le plaisir de s’exhiber. Madonna adore provoquer et défier les normes, tandis que Mylène ne sent pas le besoin de se promouvoir à outrance ou d’expliquer pourquoi elle agit ainsi. Elle estime que ses paroles expliquent qui elle est.

L’Américaine multiplie les apparitions médiatiques et est présente sur les réseaux sociaux, la Française est reconnue pour sa discrétion. À vrai dire, faire des recherches sur Mylène Farmer n’est pas évident; elle se dévoile à peine dans ses entrevues, louangeant ses collaborateurs plutôt que de parler d’elle-même. Elle affirme, cependant, aimer la passion et la démesure, c’est ce qui la motive lorsqu’elle veut mettre sur pieds une tournée ou encore filmer un clip.

Elle est devenue, dès son premier album, une artiste au statut très enviable, mais je pense qu’Ainsi soit je lui a permis de réellement prouver qu’elle a le talent pour atteindre le rang des musiciens cultes pour qui chaque vidéo, duo, tournée et album se transforme en un évènement, causant la frénésie.

Ce disque est poétique, mélancolique, chanté avec justesse et finesse. Les textes sont d’une beauté exquise et le rythme captivant. Et bien que l’on puisse entendre quelques sonorités typiques des années 80, cette offrande demeure intemporelle, tout comme Mylène Farmer.

Dites-moi, suis-je la seule personne à chanter à voix haute lorsque «Sans contrefaçon» retentit?

Surveillez la prochaine chronique «Les albums sacrés» le 12 avril 2018. Consultez toutes nos chroniques précédentes au labibleurbaine.com/Les+albums+sacrés.

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