MusiqueLes albums sacrés
Crédit photo : Virgin Records
Bristol était la Mecque de la musique trip-hop. Ce style a vu le jour après quelques années de gestations auprès d’un collectif plutôt disparate, nommé The Wild Bunch (1983-1989). Celui-ci réunissait des musiciens punk, reggae, jazz, disco et hip-hop, des DJ et des graffiteurs. Soulignons la présence de l’artiste Bansky, du chanteur Tricky, du réalisateur Nellee Hooper (qui a travaillé, entre autres, avec Björk), de DJ Milo, du graffiteur Robert Del Naja («3D»), de Grantley Marshall («Daddy G») et Andrew Vowles («Mushroom»).
Les débuts d’une nouvelle scène
Ce fut des années très formatrices qui ont permis à Tricky 3D, Daddy G et Mushroom de se familiariser avec les techniques d’enregistrement en studio et l’échantillonnage. Je crois aussi que cela leur a permis d’élargir leurs influences et de s’inspirer les uns des autres. Mais, surtout, cela leur a donné l’occasion de fonder Massive Attack, en 1988.
Après un premier extrait paru de façon indépendante, la très commerciale «Any Love», le groupe coécrit «Manchild» avec la chanteuse Neneh Cherry et commença à se faire remarquer. Cherry et son mari, le réalisateur Cameron McVey, aidèrent la formation afin qu’elle puisse enregistrer son premier album, Blue Lines (1991). Bien que ce disque soit intéressant, je ne crois pas qu’il offrait un réel aperçu du potentiel du quatuor.
Le quatuor commençait à obtenir un certain succès en Grande-Bretagne, sans plus. C’est leur deuxième album, Protection (réalisé par Nellee Hooper), qui fit son apparition dans les bacs en 1994, qui a créé un engouement indéniable, et ce, à l’échelle planétaire. Il s’agit également du dernier album auquel participera Tricky en tant que membre (il lança son premier opus solo en 1995, Maxinquaye). Cependant, sa façon de chanter, un mélange de fredonnement et de chuchotement, a laissé son empreinte: 3D et Daddy G semblent s’en être fortement inspiré. Massive Attack, Tricky, Portishead et autres se firent remarquer par les journalistes musicaux qui s’empressèrent de donner un nom à leur musique aux saveurs électronique, dub et hip-hop: le trip-hop.
Une tempête se dessine…
Malgré une popularité grandissante, les relations au sein de la formation ne sont pas très bonnes. Les nombreuses tensions ralentissent le travail en studio, exacerbées par le perfectionnisme de 3D, qui refait les chansons, encore et encore. Le successeur de Protection se fait attendre. Le réalisateur Neil Davidge les épaula et Mezzanine voit finalement le jour, en 1998. Mushroom, acceptant mal la direction que prenait la formation, et le fait que 3D menait le groupe d’une main de fer, quitta Massive Attack.
En fait, 3D est le seul membre constant; même Daddy G a pris une pause (afin de s’occuper de sa famille). Qu’à cela ne tienne, Davidge prit la relève et devint, de façon plus ou moins officielle, le quatrième membre. Le chanteur Horace Andy, pour sa part, collaborera sur chaque album de Massive Attack. Je le soupçonne d’être à l’origine des racines reggae que l’on entend grâce au jeu de basse. La formation lancera trois autres offrandes, la dernière, Heligoland, est sortie en 2010, sans jamais retrouver l’euphorie de Mezzanine.
À la mode de Bristol
Avec le recul, je ne comprends pas pourquoi ce mouvement a si bien fonctionné dans les années 90, tandis que la jeunesse de l’époque avait un méga coup de cœur pour le grunge et le punk rock… Leur son orchestral est diamétralement différent de ce que Seattle ou la Californie avait à offrir. Mais le trio possède un immense talent et, surtout, une approche originale. Il offre une musique étoffée et intellectuelle sans être prétentieuse.
En fait, Massive Attack se distingue sur tous les plans: image, rythme, échantillonnages, façon de chanter… Il allie des éléments tels qu’une basse groovy, une guitare planante qui est présente sans toutefois porter ombrage aux diverses textures des chansons et des échantillons choisis avec soin (Ultravox, The Velvet Underground, The Cure…). Toutes ces sonorités créent une musique atmosphérique, dense et sombre. Il n’y a pas à dire, Massive Attack et Neil Davidge ont excellé en ce qui a trait aux arrangements!
De plus, leur façon chanter, un rap au débit plutôt lent, permet de mettre en valeur la superbe voix de leurs différents collaborateurs. Les chanteurs invités magnifient leurs pièces, comme c’est le cas avec Elizabeth Fraser (Cocteau Twins) qui chante avec perfection les titres «Teardrop» (malheureusement, je crois que nous avons entendu cette chanson trop souvent et qu’elle a quelque peu perdu de son étincelle), «Black Milk» et «Group Four». La contribution d’Horace Andy, spécialement pour l’extrait «Angel», est sublime. Mezzanine est incroyablement fluide et s’écoute en boucle, sans que l’on ait le réflexe de vouloir escamoter une seule pièce.
Ce genre de musique est parfait pour s’étendre, enfoncer les écouteurs sur ses oreilles et se laisser transporter dans un univers utopique et futuriste (ce que j’ai fait très souvent). Futuriste, car je crois sincèrement que le son de Mezzanine est avant-gardiste. Quelqu’un qui écouterait cet album pour la première fois ne devinerait pas que cette offrande fut enregistrée il y a vingt ans.
À mon infini regret, il semble que Massive Attack, voire le trip-hop en général, n’a plus la même portée qu’auparavant… Je me console en réécoutant «Inertia Creeps» ou encore «Risingson». Et vous, quels étaient vos titres préférés de Mezzanine?