«Les albums sacrés»: le 20e anniversaire de «L'école du micro d'argent» d'IAM – Bible urbaine

MusiqueLes albums sacrés

«Les albums sacrés»: le 20e anniversaire de «L’école du micro d’argent» d’IAM

«Les albums sacrés»: le 20e anniversaire de «L’école du micro d’argent» d’IAM

Le pinacle du noble art

Publié le 13 avril 2017 par Mathieu St-Hilaire

Crédit photo : groupe-iam-blogspot.ca

Rien n’est plus gros dans l’histoire du rap français que L’école du micro d’argent d’IAM. L’album est l’équivalent de Led Zeppelin IV pour le rock ou de Kind Of Blue de Miles Davis pour le jazz: mythique, révolutionnaire, ambitieux, légendaire, etc. Mettez les qualificatifs qui vous plaisent, rien ne sera, semble-t-il, exagéré. Il y a vingt ans paraissait cette œuvre colossale qui alla complètement changer la face du rap français sur la planète. À partir de ce moment, bien des gens, et surtout au Québec, se mettent à s’intéresser au rap et le voient bien différemment, tant musicalement qu’au niveau des paroles. C’est d’ailleurs le cas de l’auteur de ces lignes, qui tombera sous l’emprise de ce troisième album du groupe de Marseille.

Avant L’école du micro d’argent, IAM, ça représente surtout le tube «Je danse le mia», pièce hip-hop à saveur disco sympathique et ironique qui avait donné à IAM une réputation internationale. Un bon vers d’oreille, s’il en est un. Répéter la même recette aurait été probablement catastrophique pour le groupe, qui serait possiblement tombé dans la non désirable catégorie des one hit wonders. De plus, avec une scène hip-hop de plus en plus bouillonnante en France dans la deuxième moitié des années 1990, IAM doit suivre le rythme s’il ne veut pas tomber dans l’oubli tellement la compétition est féroce. Au printemps 1996, Akhenaton, Shurik’n et Kheops décident de louer un appartement non pas à Paris, mais bien à New York, qui deviendra le berceau de leur inspiration.

groupe-iam-blogspot.ca

Déjà, le premier extrait bouscule tout sur son passage. Avec une collaboration inattendue mais complètement incendiaire du groupe Sunz Of Man, provenant directement de l’entourage du mégacollectif Wu-Tang Clan, «La Saga» est annonciatrice de la suite des choses: rien ne sera petit sur cet album. Au contraire, le chef d’œuvre d’IAM sera digne d’une gigantesque pyramide de l’Égypte ancienne, dont l’influence sur le groupe est apparente jusque dans le nom des membres du groupe (Akhenaton et Kheops). Après la légèreté de «Je danse le mia», le trio allait nous balancer de l’autre côté du spectre, soit celui du côté obscur. L’école du micro d’argent jettera une ombre monstrueuse, aussi immense que celle de Dark Vador.

D’ailleurs, la pièce «L’empire du côté obscur» emprunte directement des images de Star Wars (à l’époque, il n’existait encore qu’une seule trilogie) pour évoquer les mensonges et la désinformation qui alimentent les discours des politiciens. Malheureusement, le texte est encore ultra-réaliste, surtout avec la nouvelle administration américaine: «Obscure, la force est noire, c’est noir comme le château / Où flotte l’étendard, notre drapeau / Sois sûr que sous les feux, la vérité est masquée / Viens, bascule de notre côté». La chanson suivante, «Regarde», poursuit sur le même thème qui lie le pouvoir avec la bêtise de l’homme, la planète étant le terrain de jeu où ce dernier se croit tout permis.

Et si IAM se préoccupe du sort de la planète, le groupe n’oublie pas non plus les problèmes de tous les jours dans la cité. «Petit frère» traite de la violence urbaine et des jeunes qui se font embarquer dans des gangs de rues sous des promesses de richesse et de gloire. «On sait ce que tu es quand on voit ce que tu possèdes», lance Shurik’n, mettant des mots dans la bouche de ce petit frère qui veut grandir trop vite pour aller rejoindre les grands qui portent du Armani et qui collectionnent les voitures. La superbe «Nés sous la même étoile» prend l’angle d’un jeune provenant d’un milieu défavorisé pour illustrer la différence de niveau de vie en France, avec tous ses impacts sur l’existence du moins nanti, contraint à jouer au foot «sans cage, sans filet, sans même une ligne blanche» ou bien à se construire «une pelle mécanique plate avec des pots de yaourt». Au niveau des mots et de leur délivrance, Akhenaton et Shurik’n passent au scalpel la vie dans la cité de façon chirurgicale, avec une prose ridiculement riche.

La chanson-titre, qui débute l’album de glorieuse façon, amène l’auditeur sur-le-champ de bataille et le force à prendre le camp de leur école (le micro d’argent) face à l’école du micro de bois, concepts qui pourraient être résumés ainsi: le rap inspiré versus le rap médiocre. Aucun doute à quelle école ce long-jeu appartient. Une autre pièce particulièrement réussie est «Elle donne son corps avant son nom», qui fait référence à des prostituées de «haut niveau» qui vendent leur service dans des bars de Marseille. Le groupe se permet même un mélange de ces deux dernières thématiques (la qualité de leur prose et le proxénétisme) sur «Chez le mac», où Akhenaton et Shurik’n se couronnent les maquereaux des mots et des lettres de la langue française.

IAM était tellement sur une lancée à l’époque de L’école du micro d’argent que les membres du groupe ont décidé de sortir une autre édition en 1998, incluant la chanson ultra-percutante et accrocheuse «Independenza». À l’intérieur, les deux rappeurs partagent le micro avec Freeman, qui fera partie du groupe de 1998 à 2008. Sur la réédition, la pièce remplace «Libère mon imagination», autre morceau solide. Pour clore cet album monumental, rien de mieux que «Demain, c’est loin», alors que les deux poètes s’échangent chacun leur tour visions malsaines du présent et portraits sombres de l’avenir pendant plus de neuf minutes.

On retrouve ici le groupe au sommet de son art, chaque ligne pouvant pratiquement être analysée et citée comme une petite perle littéraire. Le pouvoir des mots qui laissent sans mots.

Dans un article paru dans la revue française Libération, on rapporte que les nouvelles générations en France ont peine à s’intéresser au rap des décennies précédentes, contrairement à la musique rock et pop, qui elles possèdent toujours un aspect nostalgique qui séduit les plus jeunes. Comme s’il y avait un clivage entre le «nouveau rap» et «l’ancien rap». Pour IAM, souhaitons que cette grossière catégorisation ne les touche pas. Après tout, ils viennent de faire paraître un tout nouvel album, Rêvolution, et ont aussi annoncé une tournée célébrant les vingt ans de L’école du micro d’argent l’automne prochain. L’intemporalité d’une œuvre aussi imposante et cruciale que L’école du micro d’argent devrait être reconnue par tous, vieux comme jeunes. Pour les autres, tant pis, ils ne sont pas nés sous la même étoile.

Surveillez la prochaine chronique «Les albums sacrés» le 27 avril 2017. Consultez toutes nos chroniques précédentes au labibleurbaine.com/Les+albums+sacrés.

Nos recommandations :

Critiques d'albums

«Atrocity Exhibition» de Danny Brown

Vos commentaires

Revenir au début