«La vie littéraire» de Mathieu Arsenault – Bible urbaine

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«La vie littéraire» de Mathieu Arsenault

«La vie littéraire» de Mathieu Arsenault

La mise en scène d’une mise en scène

Publié le 4 septembre 2014 par Jérémi Perrault

Crédit photo : Le Quartanier

En avril dernier paraissait Drama Queen, le roman posthume fort attendu de Vickie Gendreau. Au même moment, Mathieu Arsenault, auteur du blogue Dorktorak, Go ! et collaborateur à plusieurs revues dont Liberté, publiait La vie littéraire. On a pu observer ces deux cousins littéraires, publiés au Quartanier, côte à côte sur la table des nouveautés de plusieurs librairies, la teinte rosée des deux bouquins reflétant bien le fort lien qui existait entre Arsenault et Gendreau. Œuvre rédigée dans une prose poétique urgente et sans ponctuation, La vie littéraire pose un regard sur la création littéraire à une époque fulgurante et saturée.

C’est à travers les mots d’une jeune femme dans la vingtaine que prend forme cette troisième proposition d’Arsenault. Des mots qui sont proférés à une vitesse folle et que la narratrice peine à contenir. Ce kaléidoscope d’images et de signes contient les angoisses et les obsessions de celle qui tente désespérément d’écrire «ce glorieux livre de poche qu’on traine partout». Que peut la littérature à côté de ce «désordre d’informations», des vidéos de chats qui prolifèrent sur YouTube et des milliards d’entrées sur Wikipédia? «Je ne serai jamais qu’une folle aux chats je ne parlerai plus que dans le vide je radoterai dans les salles désertées des maisons de la culture l’histoire de la fois où j’ai soupé avec les derniers professionnels du milieu qui espéraient encore que l’art permette d’être soi-même et libre», s’attriste la narratrice à bout de souffle.

Divisé en trois parties (intitulées «Lire», «Écrire» et «Imprimer»), l’œuvre de Mathieu Arsenault utilise une poétique extrêmement codifiée. L’écriture d’Arsenault emprunte au langage informatique et pornographique, utilise la langue orale et insère de nombreux noms de marques et des citations littéraires détournées. On a beaucoup insisté sur la manière dont Arsenault est parvenu dans La vie littéraire à représenter le discours ambiant de son époque, à traduire le flot continu de signes et d’information auquel nous sommes confrontés chaque jour. Ces effets se sentent très bien à la lecture. Mais cette poétique bigarrée permet aussi de mettre en cause les principaux enjeux de la littérature sous un angle singulier: son utilité, sa transmission, son pouvoir de dire le monde. Par exemple, le langage informatique et de jeux vidéo symbolise la mise en scène de soi, transformant en entité narrative l’avatar qui nous représente sur l’écran. Cette langue codifiée donne un aspect ultracontemporain à la forme de l’œuvre, mais elle n’est pas sans poésie. Parmi cette succession incessante de produits jetables, de mots techniques et de vulgarités se trouvent quelques perles, parfois un peu étouffées, toutefois: la surabondance sert le propos, mais elle nuit à la poésie du texte.

L’absence de ponctuation accentue le sentiment d’urgence de la jeune femme et fait vivre au lecteur l’abondance et la vitesse de ses pensées; le lecteur d’abord déstabilisé s’habitue vite au rythme de ces interminables phrases (elles ont une fin, bien entendu: chaque bloc de texte d’une à deux pages se clôt par un point), ce qui rend parfois floue la distinction entre la réalité et la fiction, entre le réel de la narratrice et la vie de son personnage quelle souhaite mettre en scène. On chemine ainsi entre ces deux niveaux fictionnels en se laissant emporter par la vague qui laisse circuler les images et les métaphores à leur guise, libérées de toute attache syntaxique. Mais ces moments de poésie décloisonnée, qui constituent la force de l’œuvre, sont trop rares.

Avec cette troisième œuvre, Mathieu Arsenault jette un regard dur sur le monde de l’édition, de la création et de la culture. C’est un ouvrage qui tombe à point, qui décrit en la critiquant une époque particulièrement difficile pour le milieu culturel en ces temps de coupures et de restrictions budgétaires. Or, l’auteur frappe sur des clous déjà rouillés en employant des thèmes et des images un peu convenus: la figure de la jeune auteure rêvant d’immortalité littéraire que revêt la narratrice ne surprend pas beaucoup, pas plus que le triste constat du manque d’intérêt que le grand public accorde à la lecture. C’est l’aspect autoréflexif de l’écriture qui constitue le réel tour de force de cette œuvre, la manière dont l’auteur a révélé et exploité les contours mêmes de la littérature. «La vie littéraire ferme à vingt et une heures le vendredi», affirme la narratrice. Espérons tout de même quelques heures supplémentaires.

Mathieu Arsenault, La vie littéraire, Montréal, Le Quartanier, coll. « Série QR », 2014, 97 p.

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