«Truculence» de François Racine – Bible urbaine

LittératureRomans québécois

«Truculence» de François Racine

«Truculence» de François Racine

Les mots comme une échappatoire

Publié le 26 septembre 2014 par Camille Masbourian

Crédit photo : Québec Amérique et Martine Doyon

Montréal, mai 2012. La grève étudiante bat son plein. Les cours sont suspendus depuis des mois, le dialogue de sourds entre les élus et les étudiants se poursuit, la tension augmente, la répression policière lors des manifestations est plus forte que jamais. Pour calmer les tensions, certains «contribuables», jusque-là muets, sortent le soir avec leurs casseroles pour se faire entendre et se défouler sans casser de vitrines. À quelques semaines des vacances d’été, où les sessions seront définitivement suspendues, où une apparence de calme refera surface, la population entière est épuisée de ce climat trop tendu. C’est exactement dans ce contexte que se place «Truculence», le premier roman de François Racine.

Lui-même professeur de littérature au Cégep André-Laurendeau, François Racine met en scène dans son roman un groupe d’amis, formé de trois professeurs de français au cégep ainsi qu’une comédienne, qui quittent Montréal la douloureuse, le temps de faire le vide, et de retrouver un de leurs amis qui se terre quelque part au fond de la Gaspésie. À la recherche de Djibi, en deuil de sa copine, Elpé, Lidz, God et Lau font le tour des bars et des terrasses de cafés de Gaspé, le temps de plusieurs brosses et de quelques conneries, qui serviront surtout à évacuer le méchant. Empreint de cette exaspération et de cette colère chronique qui gagnait tout le Québec il y a maintenant un peu plus de deux ans, Truculence ne pourrait mieux porter son titre.

Les personnages, définitivement hauts en couleur, sont liés à la fois par cette quête qui les mène jusqu’en Gaspésie, mais aussi par leur passé, parfois sombre, souvent compliqué, qui ne cesse de leur revenir en pleine face. La langue dans laquelle ils s’expriment, une langue parlée, très québécoise, mais sans tomber dans le joual du théâtre et des romans de Tremblay, et à la fois raffinée, de par leur statut de professeurs, est d’ailleurs utilisée dans tout le  roman, ce qui donne une impression de réalité à cette histoire. Les références culturelles et politiques et les ressemblances entre la réalité et la fiction font souvent oublier qu’il s’agit d’un roman, puisque l’on peut facilement avoir l’impression de lire le journal de l’auteur, dont le personnage principal semble être l’alter ego. Cette langue utilisée par l’auteur, parfois agaçante pour l’œil au début de l’histoire, finit par coller tellement parfaitement aux personnages qu’on finit par l’oublier. Mieux encore, on s’amuse des jeux de mots, des mots-valises et de toutes sortes d’autres perles de langage inventées par l’auteur (ausoird’hui, notamment).

François Racine frappe fort avec ce premier roman qui replonge instantanément le lecteur dans ce climat qu’il décrit avec une vérité et une justesse incroyables. Avec Truculence, l’auteur entre dans ce débat avorté à la fois trop tard et trop rapidement, essouflé malgré lui par les vacances d’été. Il y présente des personnages loin (très loin!) d’être parfaits, mais tellement vrais qu’on semble les connaître. Ne serait-ce que pour ce côté givré que généralement on ne connaît pas de nos professeurs, gens d’autorité et de savoir, qui le temps d’une intense semaine, perdent le contrôle et la carte, ça vaut la peine de se plonger dans Truculence.

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