Littérature
Crédit photo : Éditions du Boréal
L’année de l’expo, l’année des grandes visites protocolaires, l’année de tous les possibles, même celui d’un Québec symboliquement «libéré» par le père de la nation française. La question de la préméditation colle aux fesses de l’emblématique annonce depuis qu’elle a quitté les lèvres de l’homme au képi ce jour-là, et pour André Duchesne, les faits parlent d’eux-mêmes et les preuves sont là: les mots du grand Charles étaient prémédités. Avant de les prononcer, il aurait même été averti des répercussions possibles et de leur portée, tel que nous le prouvent des images captées par Jean-Claude Labrecque.
De Gaulle s’étant toujours imposé comme un homme brillant, ce serait effectivement une erreur de persister à lui prêter cette spontanéité toute québécoise que l’on retrouve tant chez nos politiciens que chez nos artistes. On est pour ainsi dire bien loin du «Take a kayak» de Céline. Au fil de la lecture, on ne peut donc que donner raison à Duchesne pour la justesse du point de vue choisi pour présenter et contextualiser ce moment charnière.
L’essai est documenté à un point qui friserait l’excès si l’auteur ne parvenait à maintenir le rythme d’un récit qu’on se surprend à voir aisément transposé à l’écran. Ce n’est effectivement pas le propre des essais historiques. On salue donc ici la plume maîtrisée et la structure impeccable de la reconstitution.
Le point culminant du voyage survient ainsi en plein centre de cet écrit qui retrace géographiquement et chronologiquement les pas du général dans ce périple qui devait se terminer à Ottawa en passant par le chemin du Roy. Duchesne nous rappelle, au passage, qu’Ottawa qui, au départ, avait tenu mordicus à l’inviter, décidera finalement (à la dernière minute) de pas recevoir un de Gaulle devenu persona non grata. Celui-ci ne s’en formalisera pas outre mesure. N’était-il pas venu sciemment jusqu’à nous par bateau, le fameux Colbert, plutôt que par avion, commençant ainsi sa visite par la capitale provinciale plutôt que par la capitale nationale?
Grâce à La traversée du Colbert, Duchesne permet au lecteur de s’évader des ornières qui placent la déclaration comme le point final de sa venue et pousse plus loin l’interprétation et l’observation des faits. On vogue ainsi jusqu’à l’analyse de la CIA et les dernières secousses sismiques de la visite, pour terminer sur un épilogue qui nous révèle le sort du bateau qui aura porté les germes de la dissidence.
Chargé de microrécits aussi passionnants qu’étoffés, le livre ressuscite devant nos yeux une époque révolue, une époque où le gouvernement du «(…) Québec est […] en parfaite harmonie avec la Fédération des SSJB (…)» Ce genre d’ouvrage, qui fait revivre de manière vivace notre histoire, est essentiel pour contrer notre analphabétisme historique notoire.
Si l’histoire du Québec pouvait nous être ainsi toujours contée, il y a fort à parier que nous la connaîtrions davantage. La religion nous ayant si longtemps tenus dans l’ignorance, nous avons encore bien des croûtes à manger. Des croûtes que des récits comme celui de Duchesne nous rendent on ne peut plus digestes.
«La traversée du Colbert» d’André Duchesne, Éditions du Boréal, 320 pages, 29,95 $, papier, 21,99 $, numérique.
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