LittératureRomans québécois
Crédit photo : Héliotrope
Ils sont forts, les usagers de papier qu’a créés l’auteure dans son premier livre, publié chez Héliotrope. Ils trimballent leurs hystéries, leurs névroses, leur cruauté. Ils ont une langue assumée, parfois exagérée, mais qui, plus encore que de rendre le portrait vraisemblable, accentue leur profondeur. Il leur faut parler fort pour excéder le bruit de la bête sur rails. Michaud-Lapointe multiplie les tics langagiers, les expressions, les particularismes et les marques d’oralité comme autant de caractéristiques de la langue qui jaillit des lignes orange, bleue, verte et jaune.
Si certaines nouvelles, comme celles ayant pour scène les stations Beaudry ou Longueuil, sont presque exclusivement construites par dialogues, plusieurs autres arborent un mode plus poétique. Dans une chambre de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont où est alitée sa grand-mère Dolorès, une fillette capture le bruit de la maladie et le transpose dans son cahier de théorie musicale: «Au son des lamentations, l’enfant écrit des rondes, des croches, des silences.» Le trajet jusqu’à la station Assomption, après sa longue journée d’école, a épuisé la jeune fille: elle ne peut que prononcer la première syllabe du nom de sa grand-mère. «Elle finit par jeter son cahier, ne supportant plus l’impression d’écrire la musique d’une agonie. Des larmes roulent dans son cahier.»
Ces moments poétiques sont sans doute les passages les mieux ficelés de l’œuvre. Ils témoignent d’une très bonne maîtrise des nuances, des ambiances et des émotions de la part de l’auteure. Lorsque la parole domine, les traits sont grossis, la langue est tordue et malmenée. Ces nouvelles sont sans doute les plus imparfaites. Ces personnages, d’une vérité et d’une véracité exacerbées, disent leurs travers et leurs obsessions à travers leur propre langage, que la parole soit directement transcrite ou prise en charge par la narration. L’auteure rend saillants les affects des personnages en accentuant les travers de la langue, l’écriture épousant les imperfections langagières de ces personnages. Cette disparité entre les modes narratifs et les tonalités des différentes nouvelles confère par ailleurs une véritable unité au livre, comme le tumulte, le chahut de la foule bigarrée qui lui donne sa cohérence.
C’est cet accès total à l’humanité des personnages au moyen de la parole qui constitue la plus grande réussite de Titre de transport. Cette parole ininterrompue, qui confère à des personnages anodins une grande singularité, éclaire certains coins sombres de la ville qui s’écartent du caractère convenu de Montréal. Pensons à cette mère célibataire en rendez-vous galant dans une rôtisserie du chic quartier d’Outremont, ou à cette nouvelle où le narrateur avoue son ignorance des personnages historiques qui ont baptisé les noms de rues de sa Montréal natale. Sa mauvaise connaissance de plusieurs quartiers montréalais ainsi que son indifférence à l’égard des attraits soi-disant incontournables de la métropole font en sorte qu’il se considère comme un indigne représentant de la ville où il a grandi. Cette nouvelle est une véritable réflexion cartographiée de la ville dont il connaît finalement que très peu de chose.
Alice Michaud-Lapointe, dans ce premier roman, illumine les replis d’une ville dont le visage le plus connu est peut-être celui qui la décrit le moins bien. C’est, en soi, un véritable tour de force.
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de la rédaction