LittératureDans la tête de
Crédit photo : Éditions Alire
Carl Mongeau vs Harrisson Ford dans Le fugitif
«L’enfer, c’est les autres», disait Jean-Paul Sartre dans son célèbre Huis clos, et force est d’admettre que dans ce contexte, les mots du philosophe français sont assez justes. Car dans ce dix-septième roman de Senécal, l’enfer, c’est vraiment les autres. Ces fous qui traquent le protagoniste avec des armes de malades pour une raison qu’il ignore. Qu’on ignore aussi comme lecteur, ce qui décuple l’intensité de la punch line dont je vous parlerai dans quelques secondes.
Et ça parle de quoi? C’est en fait l’histoire de Carl Mongeau, la trentaine, sans histoire, outre celle peu passionnante de son ex et d’une maîtresse avocate qu’il a éconduite faute d’intérêt, il faut croire. Son fils est concepteur de jeux vidéo et il est plein aux as, archi riche. Bref, Carl mène une vie (presque) rangée, simple, routinière, correcte. Jusqu’au jour où une femme, tout en blanc vêtu, et qu’il n’avait jamais vue dans son bar, débarque dans son bureau, un jour comme un autre, pour lui annoncer une grande nouvelle, et réjouissante celle-là: «Je viens vous annoncer que vous allez mourir, monsieur Mongeau».
C’est ainsi qu’après avoir à peine avoir lu vingt-deux pages, le lecteur voit le personnage se transformer en un espèce de clone d’Harrisson Ford dans Le fugitif, car s’il lui reste bien une chose à faire… c’est fuir. Déguerpir. Pis vite. Car le compte à rebours est déjà lancé…
Elle est probablement là la plus belle surprise du roman: la capacité de Patrick Senécal à nous prendre par surprise, à nous faire partager ce frisson d’horreur qui traverse également l’échine de ses personnages qui apprennent l’inéluctable, qui sont confrontés à une mort certaine, ou du moins à des souffrances extrêmes à venir.
Avec Il y aura des morts, l’auteur laisse un peu cette impression d’avoir eu envie d’extrême gore, comme s’il s’était payé d’une traite Le Bagman suivi de Game of Death. Même si ce plus récent roman procure un frisson de plaisir pour ceux qui carburent à l’hémoglobine, même sur papier, le calvaire du protagoniste s’étire, et s’étire, et c’est peut-être ces petites longueurs qui font qu’on a été tenté de reposer le livre pour reprendre la lecture un peu plus tard. Mais le rythme effréné du récit est certainement la grande réussite de ce roman, nous donnant l’impression d’avoir couru le marathon alors qu’on a à peine bouger le doigt pour tourner les pages.
Plonger dans ce plus récent roman de Patrick Senécal, c’est un petit divertissement qui trouvera rapidement sa place dans votre bibliothèque de thrillers, ou près de votre autel à l’effigie de l’auteur! Je n’en dis pas plus. Découvrez-le par vous-même.
Ou l’art de maîtriser les ficelles du thriller à suspense
Récemment, je publiais une critique peu encourageante de Dark Net, un techno-thriller de l’Américain Benjamin Percy, dont Super 8 Editions, à Paris, ont repêché la traduction française, fin 2017, et j’admettais en toute transparence m’être ennuyé terriblement. J’y parlais, au passage, de Hell.com, car le sujet est sensiblement le même, sauf que Patrick Senécal a abouti, avec cette odyssée sur le dark web, d’une histoire en tous points géniale et inquiétante à souhait. En voilà un autre qui a souffert le martyre d’ailleurs. Pauvre, pauvre Daniel Saul. Mais revenons à nos moutons!
Peu après m’être imprégné bien comme il faut des yeux hagards de Patrick Huard dans Sur le seuil, et de cette ambiance glauque à souhait qui a permis au long métrage d’Éric Tessier de bien se hisser dans le palmarès des films d’horreur québécois, je fus tenté de poursuivre mon exploration de cet écrivain qui allait, tranquillement mais sûrement, devenir mon espèce de Stephen King, version Québec, et, définitivement, c’est après avoir lu sa version d’Aliss (au pays des merveilles) d’une traite, en quelques heures à peine, que j’ai compris: Patrick Senécal a le don de nous entraîner dans ses folies créatives, avec cette écriture toujours accrocheuse, qu’on reconnaît tout de suite, rythmée par des dialogues efficaces et parfois (lire de plus en plus souvent) humoristico-grinçants.
Je ne divulguerai pas la petite surprise qui vous attend dans Il y aura des morts, car vous m’en voudriez certainement jusqu’à ma mort (ha, ha!), c’est la raison pour laquelle je me contenterai seulement de parler ici d’une autre force de Senécal: celle d’avoir su créer un univers où il a réussi à faire vivre l’un de ses personnages-clés: Michelle Beaulieu.
Vous vous souvenez de Faims? Cette histoire se déroulant à Kadpidi, ville pour une fois fictive (l’auteur en a eu marre de Drummondville?) où débarque pour la première fois le Humanus Circus et sa bande de personnages plus grotesques les uns que les autres. Si vous vous souvenez bien, il y a une référence à Hell.com, à Aliss et à la websérie La Reine Rouge en la personne de Regina, qui s’est avérée, finalement, être le sobriquet de la fameuse Michelle Beaulieu, alors en cavale avec cette troupe de cirque. Et si on recule plus encore dans nos souvenirs, ce pauvre Yannick Bérubé, qui se fait retenir prisonnier par les Beaulieu dans 5150, rue des Ormes, va rencontrer le diable en la personne de Jacques Beaulieu, le père de… Michelle! Il faut admettre que cette fameuse a bien vécu dans l’univers de Senécal, avec son heure de gloire en tant que l’incendiaire et impitoyable Reine rouge dans Aliss.
Les histoires de Patrick Senécal au grand écran
Si chacun des romans de l’auteur, âgé de 50 ans cette année, mériterait certainement leur adaptation cinématographique, outre peut-être la série épisodique La Reine Rouge, qui fut un bel essai, sans avoir vraiment touché une corde sensible, on garde de très bons souvenirs, certes de Sur le seuil, mais aussi de 5150, rue des Ormes, toujours réalisé par Éric Tessier, ainsi que Les 7 jours du Talion, où Podz, cette fois, a bien su transposer au grand écran le caractère sordide de cette histoire d’un père qui se venge sur l’agresseur de sa petite fille retrouvée morte et violée. Les rumeurs veulent que trois autres adaptations soient présentement en développement, autant au Québec qu’à l’étranger, mais aucune nouvelle à ce propos n’a été divulguée pour le moment.
Dans ma liste de souhaits, je me permets d’espérer un long métrage sur Oniria, le petit «oublié» de la collection, ou du moins celui que plusieurs fans n’ont toujours pas lu, mais aussi Hell.com ou encore Le vide. Disons que la seule idée d’espérer (re)voir du Patrick Senécal au cinéma pourrait nous accorder une pause bien méritée de Star Wars et autres Marvel ou séries remâchées qui ne servent qu’à engendrer des millions au box-office à défaut de nous faire vivre de vrais et purs moments d’intensité. Voilà, c’est dit.
Et vous, c’est laquelle votre histoire préférée de Patrick Senécal?
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Par Éditions Alire