LittératureBandes dessinées et romans graphiques
Crédit photo : Mécanique Générale et Catherine Ocelot (illustration)
Ocelot se révèle cependant rebelle aux règles habituelles de déroulement d’un récit. Elle fait plutôt passer son propos par un jeu de contrastes entre, d’une part, l’univers éclaté créé par les décors, les rêves de Bruno et les propos encore plus surréalistes des énergumènes qu’il rencontre et, de l’autre, la pression qu’il subit, à chaque instant, pour se plier à une convention télévisuelle jamais vraiment définie. L’angoisse de performance est d’ailleurs bien nommée. Pour le reste, Bruno écoute et s’affirme peu, ce qui est cohérent avec son personnage, mais, comme dans le cas de bien d’autres introvertis de la vie quotidienne, cela ouvre peu de pistes pour le comprendre.
Lorsqu’on nage déjà en pleine excentricité, avec un ours comme intervieweur, comment saisir où se termine la fantaisie et où commence l’inacceptable, par exemple lorsque l’intervieweur se retrouve nez à nez avec un lion? Les auteurs se font habituellement un point d’honneur de rendre tangible l’invisible, d’offrir une cohérence et un fil conducteur auquel même ceux qui ont moins de raisons apparentes de s’identifier à la situation pourraient se raccrocher. En tant que bonne illustratrice, Ocelot sait croquer des portraits, des moments qui peuvent lui sembler des clés pour comprendre les angoisses de Bruno. Pourtant, mise en contexte et mise en images sont deux choses bien distinctes.
Les conversations de 5 à 7 entre Bruno et ses amies sont peut-être réalistes, mais comprennent trop d’éléments implicites pour ne pas égarer le lecteur. Ces passages, dont on sent pourtant la pertinence, laissent sous l’impression d’être le petit nouveau, arrivé au beau milieu d’une conversation dont on maîtrise mal le sujet et à laquelle il serait malaisé de se mêler vraiment.
Toutefois, l’air de rien, le ridicule des situations attaque de plein fouet des problématiques réelles rencontrées en entrevue, comme l’exigence de trouver un semblant d’intérêt à des propos échappant à toute pertinence, ou encore la confrontation à un interviewé déterminé à tout contrôler de la rencontre.
Peut-être qu’en s’apprivoisant graduellement à cet univers, d’un album à l’autre, ses balises apparaîtraient-elles de manière plus évidente. Mais, de son côté, Ocelot gagnerait beaucoup à s’accorder le droit, comme le font la plupart des auteurs, à une certaine indiscrétion, qui offrirait un accès plus direct à cette part plus sombre de l’âme de son héros tourmenté.
«Talk-Show» de Catherine Ocelot, Éditions Mécanique Générale, 144 pages, 27,95 $.
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