LittératureRomans québécois
Pierre de Chevigny travaille comme intervenant depuis 30 ans à l’Institut Philippe-Pinel de Montréal. Après avoir longtemps écrit des paroles de chansons ainsi que de la poésie, celui qui côtoie au quotidien la fragilité humaine et l’aliénation mentale a finalement trouvé l’inspiration pour l’écriture de S pour Sophie, son premier roman.
La dépression, la peur, la colère, le cynisme et l’aliénation mentale, tant d’éléments nocifs porteurs d’anxiété et de maladies auxquels l’être humain, dans la tourmente de son quotidien, tente d’échapper au péril de sa vie. Certaines personnes présentent davantage de signes de faiblesse que d’autres, et c’est particulièrement auprès de ces dernières, majoritairement des cas lourds d’une violence inouïe, que Pierre de Chevigny, l’intervenant, tente de venir en aide.
Dans S comme Sophie, le narrateur est un homme mystérieux aux prises avec un mal de vivre aussi poignant qu’un couteau planté en plein cœur. Mystérieux puisque inconnu, le protagoniste nous raconte en fait l’histoire qu’il est en train d’écrire. Le premier roman de Pierre de Chevigny est donc la confession, voire le journal intime d’un homme pour qui la vie rime avec la mort, et pour qui l’amour rime avec la peste au Moyen Âge. Être tourmenté et grand cynique, le protagoniste ressemble énormément aux poètes maudits du XIXe siècle en France, à la seule différence près que celui-ci désire se suicider à l’aide d’un pistolet, et ce, même s’il est le géniteur d’un jeune garçon et l’amant de Julie et Nicole, ses deux maîtresses.
Un mystère aussi noir que les Ténèbres plane au-dessus du récit, celui-ci tragique: c’est la mort prématurée de Sophie, son ex-femme. Selon toute vraisemblance, le protagoniste l’aurait poignardée à maintes reprises dans son appartement. Ensuite, il aurait découpé, à l’aide d’une scie, les morceaux qui avaient composé, jadis, l’être sublime qu’elle était, voire la femme au foyer qu’elle promettait d’être. Rien ne va plus dans la psyché malade du personnage puisqu’il l’aurait assassinée froidement, sans remords ni regret. Mais l’a-t-il réellement assassinée? Sophie a-t-elle déjà existé? Après tout, il entend des rats piétiner le carrelage de son appartement et il fait souvent des rêves horrifiants au sein desquels il assassine son unique fils, la chair de sa chair.
Roman psychologique à haute teneur en paranoïa et crise existentielle, S comme Sophie s’apparente tantôt à l’œuvre maîtresse d’Ernesto Sabato, Le tunnel, tantôt à Waiting Period, le dernier roman d’Hubert Selby Jr., dans lequel un homme suicidaire tente de mettre fin à ses jours avec un pistolet dans la gueule. Le lecteur, ici, entre dans l’univers singulier d’un alcoolique qui passe la majeure partie de son temps entre le Saint-Sulpice et les Bobards, entre les lits douillets de ses maîtresses et la froideur du carrelage de sa cuisine, sur lequel il est souvent étendu, en position fœtale. Si Pierre de Chevigny, le poète, agrémente ici et là son récit de jugements de valeur farfelus et de métaphores chocs, S comme Sophie demeure fondamentalement un roman sombre, oscillant entre le cynisme et l’humour noir. À prendre avec une pincée de sel.
«S comme Sophie»
Éditions XYZ
163 pages
Appréciation: *** ½
Crédit photo: Christine Bourgier
Écrit par Éric Dumais