LittératurePoésie et essais
Crédit photo : Éditions Septentrion
Composé de 36 petits chapitres traitant chacun de deux à cinq mots ou expressions, Quand la rue parle retrace les origines étymologiques de mots comme rébellion, révolte, manifestation, intimidation et violence. Les mots expliqués remontent aussi loin que le bas Moyen-Âge, à une époque où le français était à peine naissant. Leur provenance est bien entendu souvent latine et parfois grecque (crise, qui signifiait décision!), mais à l’occasion arabe (matraque), germanique ou francique (gauche, debout), anglaise (tract), italienne (masque) et même gaélique écossaise (slogan) et néerlandaise (clivage)! Certains autres proviennent de noms propres (lord Boycott, les Vandales).
Certains articles sont aussi étonnants qu’instructifs, comme celui consacré à droit sous toutes ses formes (l’adjectif droit/droite, le droit, les droits, la droite). Attesté dans les Serments de Strasbourg (842) sous la forme dreit, qui rappelle la prononciation drette encore en usage parfois, ce mot a eu une évolution et des ramifications fascinantes. L’histoire de mots comme grève et debout valent aussi le détour. Le sens de certains préfixes est expliqué, ce qui éclaircit bien des choses.
On apprend aussi que plusieurs de ces mots, devenus courants, ont d’abord appartenu au registre savant. C’est le cas par exemple de réprimer, qui était à l’origine un terme de médecine signifiant faire baisser la fièvre. Il est intéressant de lire que le sens psychologique de refouler (réprimer sa colère) remonte au milieu du 14e siècle, bien avant qu’apparaisse le sens concret lié aux rapports sociaux, au 19e siècle seulement. Il faut croire qu’avant cela, les actions qui suscitent la répression n’étaient pas courantes ou bien qu’elles ne représentaient pas une menace pour les forces de l’ordre! Mais c’est le genre d’analyses sociohistoriques dans lesquelles Gaétan St-Pierre n’entre pas.
Il ne serait cependant pas juste d’affirmer que l’auteur se contente de défiler froidement une liste de mots avec leurs origines et leurs transformations. Si les premiers chapitres semblent en effet circonscrits dans une approche principalement étymologique, St-Pierre s’adonne peu à peu à l’analyse du langage. Et il le fait sans se priver d’une certaine dose d’ironie au passage, comme dans le cas des insultes enfants gâtés et fainéants: «Il peut paraître plus étonnant encore qu’on affuble de l’étiquette de fainéant des étudiants à qui l’on reproche pourtant d’en faire trop […]»
Il s’amuse de la cohérence linguistique de la Matricule 728, qui a non seulement insulté des citoyens au sens moderne du terme, mais également dans son sens ancien, assaillir.
Tout au long de l’ouvrage, l’auteur insère des encadrés relatant des faits historiques, reproduisant des documents d’archives ou servant au commentaire sociopolitique. Il ne cache d’ailleurs pas ses opinions lorsqu’il parle de «l’infâme loi 78» ni ses allégeances lorsqu’il demande: «Les propos de la ministre de la Culture associant le carré rouge à la violence et à l’intimidation n’étaient-ils pas eux-mêmes une forme d’intimidation psychologique ou plutôt idéologique?»
Les derniers chapitres, qui traitent de magouilles, de profilage, de grande noirceur et de refus global, élargissent la perspective historique, mais délaissent de plus en plus l’étymologie au profit du commentaire. Le citoyen St-Pierre prend le dessus sur le professeur d’histoire de la langue et, bien que ces opinions puissent trouver leur légitimité, elles font quelque peu dériver l’ouvrage. S’il trouvait que l’étymologie de ces expressions était moins intéressante que ce qu’elles avaient à nous dire d’un point vue historique, il aurait probablement dû les garder pour un autre livre.
L’essai «Quand la rue parle» de Gaétan St-Pierre est publié aux Éditions Septentrion.
L'avis
de la rédaction