LittératurePoésie et essais
Crédit photo : Lux Éditeur
Étonnamment facile à lire, l’ouvrage de 464 pages se veut pédagogique et offre une clé de lecture du monde contemporain. Occupy, le Printemps érable et Nuit debout ne sont que quelques-uns des mouvements qui ont fait les manchettes ces dernières années, mais qui sont restés souvent profondément mal analysés et mal compris. Francis Dupuis-Déri entreprend d’élargir notre compréhension des deux tendances qui s’y sont chaque fois affrontées: l’agoraphobie, la peur, la haine et le mépris du peuple assemblé, et l’agoraphilie, l’amour de ce même peuple réuni.
Grâce à un exposé extrêmement bien vulgarisé de la pensée des grands auteurs de l’histoire et de leur rapport au peuple, Dupuis-Déri déconstruit minutieusement les arguments des agoraphobes. Le professeur, qui se qualifie d’anarchiste, prend le parti des agoraphiles, mais il n’oublie jamais de présenter les deux côtés de la médaille. Autant les élites occidentales sont profondément agoraphobes, craignant le soulèvement du peuple qui lui arrachera son pouvoir sur la minorité (très grande), autant les agoraphiles ne sont pas exempts de taches. Il souligne bien leurs contradictions, par exemple l’exercice du pouvoir sur la minorité grâce au vote majoritaire plutôt que la prise de décision consensuelle.
Les agoraphiles ne sont pas non plus de «meilleures personnes» que les agoraphobes, pouvant eux-mêmes être racistes et sexistes. L’auteur donne en exemple un homme qui insiste pour marcher devant une manifestation de femmes et qui s’insurge contre une manifestante qui lui demande de se placer derrière elle. Cette réflexion sur l’intersectionnalité est la bienvenue dans cet ouvrage qui parle de la rue où tous peuvent descendre, sans discrimination.
Il reste tout de même que Dupuis-Déri, auteur de nombreux ouvrages sur la démocratie et les mouvements sociaux, met en lumière le caractère profondément injuste de l’agoraphobie, qui exerce son pouvoir sur le peuple en prétendant défendre ses intérêts. Il réfute l’irrationalité d’une société agoraphile, démontrant au contraire la capacité de se gouverner du peuple assemblé, par exemple une assemblée délibérative de dix minutes spontanée au beau milieu d’une manifestation pour décider de ses prochaines actions, alors que quelques mètres plus loin les policiers gazent les manifestants.
La démonstration est franchement convaincante et surtout, rafraîchissante, puisque cet essai va à contre-courant du discours dominant des élites agoraphobes. Il permet aux lecteurs de se réapproprier un discours agoraphile qui a été délégitimé systématiquement depuis des siècles en mettant en lumière son caractère rationnel, ainsi que les failles logiques dans le discours agoraphobe. Sans proposer une solution toute faite, puisque Dupuis-Déri admet lui-même qu’il y a un certain sentiment de désespoir chez certains agoraphiles, il redonne une clé de compréhension importante, qui semble avoir été perdue depuis longtemps.
Publié chez Lux Éditeur dans la collection Humanités, La peur du peuple. Agoraphobie et agoraphilie politiques de Francis Dupuis-Déri est un essai éclairant, très pédagogique, à l’effet coup de poing. Un coup de poing intellectuel qui porte à réfléchir longuement.
«La peur du peuple» de Francis Dupuis-Déri, Lux Éditeur, 464 pages, 29,95 $.
L'avis
de la rédaction