«N’oublie pas, s’il te plaît, que je t’aime» de Gaétan Soucy – Bible urbaine

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«N’oublie pas, s’il te plaît, que je t’aime» de Gaétan Soucy

«N’oublie pas, s’il te plaît, que je t’aime» de Gaétan Soucy

Commémoration et points de rupture

Publié le 30 juin 2014 par Bible urbaine

Crédit photo : Éditions Noir sur Blanc

Gaétan Soucy n’avait pas publié de fiction depuis près de 10 ans. Pour marquer son retour, l’écrivain québécois a choisi la forme épistolaire, forme qui ne lui était à priori pas familière. Plus précisément, N’oublie pas, s’il te plaît, que je t’aime, paru début mai de manière posthume aux Éditions Noir sur Blanc, est une lettre d’adieu d’un professeur de cégep à sa jeune étudiante avec qui il a entretenu une liaison passionnelle. De là, Soucy souhaitait rédiger une réponse fictive de la destinataire, ce que sa mort en juillet 2013 l’empêcha de rendre à terme. Pour parer à cette disparition précipitée, quatre auteurs ont accepté de jouer le jeu et ont, tour à tour, imaginé une réponse potentielle. Ce recueil collectif marque, de par son ton intimiste, un point de rupture dans l’ensemble de l’œuvre de Soucy, mais ne crée pas le ravissement tant espéré d’un point final.

Six mois après que celle-ci ait rompu tous liens avec lui, Philippe écrit à Amélie pour s’épancher, une dernière fois, sur ce qu’ils ont été. Elle, âgée d’à peine 18 ans, une étudiante au talent d’écriture prometteur. Lui, professeur de cégep et auteur prolifique, craignant la solitude et l’épuisement de l’inspiration. Lui faisant trois fois son âge à elle. Au fil de la lettre, on déduit que Philippe et Amélie ont vécu une courte idylle, dans laquelle l’un allait se reconnecter à tous les possibles que promet la jeunesse, et l’autre aux opportunités d’explorations miroitées par l’expérience. Relation que l’on comprend fragile, habitée de naïveté et d’intenses envies de vivre. Du matériel brut, propice à la création. Parce qu’il est question de cela aussi, du rapport à l’autre dans une intimité alimentée par l’écriture.

La proposition se tient et se défendrait très bien, surtout considérant sa portée autobiographique et la conjoncture de la disparition de son auteur. Le lecteur est malheureusement confronté à une succession de sentiments dévoilés dans une facilité et une répétition déconcertantes. L’auteur de la lettre fait de la surenchère lexicale là où il n’aurait pas été nécessaire, comme pour nous en jeter plein au visage avec sa peine d’amour, mais ses anecdotes souffrent d’un manque flagrant d’étanchéité. Cette lettre d’une quarantaine de pages aurait gagné à se détacher des clichés du genre «pourquoi me veux-tu hors de ta vie?» ou encore «t’arrive-t-il de rêver à moi encore la nuit?» et à explorer des avenues inédites et surprenantes. Du moins, cela aurait aidé à la vraisemblance de cette relation «d’une originalité absolue», pour reprendre les mots de Philippe.

Est dressée, dans la lettre, une auto-analyse de leur rupture, ce qui, vu les fondations glissantes de son fil directeur, finit par créer un vide embarrassant. Un malaise ressenti par le lecteur, mais qui n’a rien à voir avec la frigidité ou la gêne, puisque rien n’y est réellement révélé. Et le problème est justement là. L’auteur tourne autour du pot, fait planer le doute sur la réelle profondeur de leur relation, sur ce qui est réellement arrivé entre eux. Il s’enlise de page en page dans un délire narcissique, où l’acte d’écriture semble primer l’objet de son amour. Les mots de Philippe sont figés dans ce qui nous apparaît comme un déni de la réalité qui s’ignore, dans lequel il projette sur sa destinataire ses impressions et incompréhensions.

Si la différence d’âge et l’ambiguïté du rapport entre les deux protagonistes tendent à promettre un angle qui explore les thèmes de «l’interdit», voire de l’érotisme, ou du moins de la complexité d’un amour impossible, l’oeuvre rend nébuleusement ce qu’elle suggère. Le thème de la rupture amoureuse est bien présent, mais étrangement, il est la plupart du temps latent. Beaucoup de mots, de questions, pour, au final, un adieu fébrile et beaucoup de déjà-lus. Ce qui empêche un thème galvaudé et universel d’atteindre une portée transcendante.

Cette étroitesse du filon emprunté par l’auteur est cependant rééquilibrée, en partie, par les quatre lettres imaginées d’un point de vue extérieur à l’oeuvre. La participation de Suzanne Côté-Martin, Pierre Jourde, Catherine Mavrikakis et Sylvain Trudel vient réanimer l’intérêt du lecteur après plus de quarante pages de complaintes complaisantes. Leurs réponses sont somme toute éloquentes, même si le ton utilisé ne correspond pas toujours au niveau de langage que l’on imagine d’une jeune femme de 18 ans. Mais, comme Philippe nous la présente comme une écrivaine en devenir, on embarque dans le lyrisme des lettres sans trop de difficulté. Celle de Catherine Mavrikakis, particulièrement, frappe dans le mille des paradoxes émotionnels typiques de la jeune vingtaine, et nous dévoile une Amélie forte et lucide, tout autant que fragilisée par son ouverture offerte à Philippe.

Au bout du compte, on reste sans réponse sur la question de l’intention réelle de N’oublie pas, s’il te plaît, que je t’aime. Décortiquer les sentiments post-rupture? Faire un deuil? Ou reconstruire le fil d’un amour perdu dont le personnage (l’auteur?) n’a pas accepté l’issu? Peu d’intérêt, de prime abord, à moins de vivre une peine d’amour et d’être en mal de réponses, tout comme Philippe. Ou pour commémorer, une dernière fois, l’auteur du très remarqué La petite fille qui aimait trop les allumettes.

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