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Tout porte à croire qu’il ne s’agit que d’une pure invention, mais Nganang fait revivre, dans son Mont Plaisant, une histoire véridique, et malheureusement méconnue de l’Afrique, soit celle de ses royaumes prospères, de ses innovations intellectuelles, scientifiques et artistiques. Le cas de figure que Nganang choisit d’investir est celui d’Ibrahim Njoya, roi des Bamoum (un territoire de l’ouest du Cameroun) qui régna de 1875 à 1933. Le règne du sultan Njoya est particulièrement fascinant. Non seulement il coïncide avec la colonisation européenne du Cameroun, qui a vu se succéder, de 1895 à 1916, des colons aussi bien allemands, anglais que français, mais Njoya est surtout reconnu comme l’inventeur d’un alphabet, d’une langue secrète et d’une religion. Partant de ces faits, le roman de Nganang a donc tout d’un traité d’histoire: photos d’archives, cartes d’époques, annexes chronologiques… Mais à partir de ce creuset historique très fertile, Nganang tisse une fiction très serrée où s’enchevêtrent des destins qui oscillent entre le vécu et le fictif, l’imagination et la documentation. L’auteur veut donc questionner les trous de l’histoire en interrogeant, par la voix et le regard de Bertha, une historienne camerounaise expatriée, les archives coloniales et la mémoire d’une vieille dame.
Bertha, dans la foulée de ses recherches sur le nationalisme camerounais, se rend sur le site de Mont Plaisant, l’ancien palais de Njoya, maintenant réduit en poussière. Elle y rencontre Sara qui, malgré qu’elle n’ait pas prononcé un mot depuis des décennies, décide de lui offrir son témoignage. Ainsi, à l’âge de 9 ans, Sara doit devenir la 682e femme de Njoya, mais sous la protection malsaine de sa tutrice, aussi prénommée Bertha, Sara échappe à son destin d’épouse. Par une sorte de métamorphose qu’opère même, de façon très intéressante, la narration, Sara devient Nebu, le fils perdu de Bertha. Ainsi, le lecteur est pris au centre d’un processus complexe de transfigurations des personnages. Cet aspect du texte ajoute beaucoup de profondeur au récit qui remet en question, par la démultiplication des points de vue, le caractère objectif de l’histoire «officielle». Mont Plaisant constitue une impressionnante fresque historique qui se joue sur deux tableaux contradictoires. D’une part, l’auteur cherche à réhabiliter l’histoire oubliée du royaume des Bamoum, mais d’autre part, il remet continuellement en doute la véracité de l’Histoire en faisant se confronter la valeur de l’archive à celle du témoignage. Le texte puise sa force dans cette ambivalence qui se résout, au final, par le triomphe de la fiction. L’auteur nous livre donc une belle leçon du pouvoir de la littérature comme outil de connaissances du monde.
Patrice Nganang, reconnu comme un écrivain particulièrement engagé sur le plan de la politique camerounaise, n’échappe pas, à travers cette imposante recherche, à une critique somme toute acerbe de la colonisation européenne. Le subjectif est continuellement confronté à des données qui se veulent objectives, ce qui fait de ce roman un espace de réflexion intéressant sur les questions de l’histoire, de la fiction et de la mémoire.
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de la rédaction