«Mister Big ou la glorification des amours toxiques» d’India Desjardins – Bible urbaine

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«Mister Big ou la glorification des amours toxiques» d’India Desjardins

«Mister Big ou la glorification des amours toxiques» d’India Desjardins

Ou lorsque les princes ne sont pas si charmants

Publié le 4 mai 2021 par Vincent Gauthier

Crédit photo : Tous droits réservés @ Québec Amérique

Pour son premier essai, la très prolifique India Desjardins s'est penchée sur un sujet de taille! En effet, celle que l’on a découverte à travers Le journal d’Aurélie Laflamme a réfléchi sur l’impact de la fiction sur nos amours à travers le prisme des comédies romantiques dans son nouveau livre Mister Big ou la glorification des toxiques, paru chez Québec Amérique le 6 avril dernier.

«Est-ce qu’il serait possible que la fiction ait un impact sur notre façon de vivre les relations amoureuses? Est-ce possible qu’au nom du divertissement, on glorifie sans cesse les relations toxiques dans les fictions en prônant que la souffrance est indissociable de l’amour? Et qu’on en vienne nous-mêmes à être confus sur ce qu’est l’amour?»

C’est autour de ces questions que s’articule le discours de l’autrice à travers cet essai. Pour illustrer son point de vue, elle décortique la relation entre les personnages de Carrie et de Big, le couple au coeur de l’émission culte Sex and the City.

Les deux tourtereaux vivent une histoire complexe et malsaine qui, encore aujourd’hui, soulève beaucoup de questionnements et de débats, autant chez les fans que du côté des experts.

De fait, l’analyse de cette relation sert de base à sa réflexion et lui permet d’illustrer comment certaines productions cinématographiques et télévisuelles mettent de l’avant des relations toxiques et inégalitaires qui peuvent, selon elle, avoir des conséquences dévastatrices sur les spectateurs…

Un travail de recherche pour le moins impressionnant!

Dans ce livre, India Desjardins réussit avec brio à faire le tour de cette question, citée plus haut, en entretenant un dialogue avec une foule d’experts dans plusieurs disciplines, dont la psychologie, le cinéma, la littérature et j’en passe!

En guise d’exemple, elle aborde la violence conjugale avec l’aide de Joane Turgeon, une psychologue clinicienne et chercheuse spécialisée dans les problématiques de violence, et son apport lui permet d’ouvrir la réflexion sur des concepts tels que le gaslighting – une forme d’abus mental où les faits sont détournés par l’agresseur pour que la victime doute d’elle-même et de sa réalité – et le negging – le fait d’adresser des commentaires négatifs et/ou insultants pour attirer l’attention de la personne convoitée – à travers son analyse du couple fictif afin de mieux le critiquer.

Cela lui permet aussi de souligner à quel point cette union était problématique, et ce, à différents niveaux.

De plus, elle utilise l’archétype du personnage de Mister Big, un homme riche, charismatique et distant qui refuse de s’engager pour mieux décortiquer les relations présentées dans une foule de contes de fées et de comédies romantiques, que ce soit Grease, Cendrillon, Sixteen Candles, Pretty Woman, Sweet Home Alabama, Love Actually, Jerry Maguire, entre autres.

L’auteure démontre, avec ces multiples analyses en guise de supports, comment la conception de l’amour et des relations présentes dans ces films ne sont pas saines, égalitaires et équilibrées. Malheureusement, les femmes sont, la plupart du temps, dépeintes comme des objets qui doivent mettre de côté leur individualité dans le but de plaire à des hommes immatures qui les maltraitent, ce qui est très souvent montré comme une marque d’affection et une dynamique de relation dite «normale».

Elle explique aussi comment ces représentations malsaines peuvent désensibiliser le public face à la violence faite aux femmes, en plus d’encourager celles-ci à accepter d’être traitées de la sorte. Parce qu’inévitablement, si elles persévèrent, elles auront droit à un happy ending, la seule conclusion possible dans ce genre de fiction romantique.

La ligne entre la fiction et la réalité

Un autre point que j’ai trouvé fondamental à travers le travail de recherche effectué par India Desjardins est l’importance des messages que véhicule la fiction dans nos vies. Ainsi, elle analyse une foule d’études sur le sujet et elle démontre comment la ligne entre la fiction et la réalité s’est réduite à travers les années, surtout depuis l’arrivée des réseaux sociaux. Car il faut le dire, ces derniers nous ont complexifié la tâche, à savoir celle de discerner le vrai du faux, surtout lorsque la production en question n’est pas située dans un monde fantastique rempli de magie et de superhéros.

«Ainsi, s’il est possible de déterminer facilement qu’un humain ne peut voler comme Superman, est-il aussi simple de saisir pourquoi la plupart des superhéros, des aventuriers, des détectives, des espions sont des hommes? Et que ceux-ci n’ont pas toujours une relation égalitaire ou respectueuse avec les femmes qui les entourent?»

L’autrice affirme également que ces images peuvent avoir une influence sur nos façons de concevoir le monde qui nous entoure et les relations que nous entretenons avec les autres. Elle souligne des exemples de sa vie personnelle pour illustrer son point, en partageant comment elle s’est identifiée longtemps au personnage de Carrie et comment elle cherchait à tout prix «son» Mister Big, ce qui a eu des conséquences sur sa façon de concevoir les relations amoureuses.

India croit aussi qu’en tant que spectateur, nous ne devrions pas rester silencieux et accepter ces représentations malsaines, mais que nous gagnerions tous à revendiquer des histoires avec de meilleurs modèles.

«Ce que je souhaiterais surtout, c’est qu’on sorte de cette spirale où les personnages féminins sont traités comme étant inférieurs ou interchangeables. Où les sujets qu’on identifie comme masculins sont les seuls qui méritent d’être pris au sérieux, et où ceux qu’on identifie comme féminins ne le sont que rarement, sauf quand ils sont abordés par un homme. Et que lorsqu’on parle d’amour, on accepte d’appliquer différentes règles à la façon de raconter ces histoires

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Une approche nuancée

L’une des forces de l’auteure, c’est qu’elle est capable de critiquer les œuvres qu’elle aborde sans jamais apporter de jugements de valeur. Elle explique ainsi le fait que la réception et l’interprétation d’une œuvre sont subjectives et que nos perceptions changent avec le temps, ce qui démontre l’importance qu’elle accorde à la nuance et au dialogue à travers son approche théorique.

De plus, elle souligne le fait que les œuvres représentent souvent l’époque dans laquelle elles ont été créées, et qu’à leur époque, certaines dichotomies, présentes par exemple dans Sex and the City, ont été assurément positives pour la représentation des femmes. Elle souligne aussi que les créateurs de l’émission n’ont pas consciemment souhaité glorifier ces amours toxiques.

Cependant, si elle reste très nuancée sur l’impact des films sur les spectateurs et dans son approche en général, elle l’est un peu moins lorsqu’elle aborde le personnage de Carrie. Selon moi, l’œuvre aurait gagné à analyser plus en profondeur ce personnage féminin complexe, considéré comme l’une des premières figures d’anti-héroïne à être placée au centre d’une production de cette envergure.

Carrie est charmante, indépendante, intelligente, mais à plusieurs reprises, elle peut aussi être une mauvaise amie et une mauvaise petite amie. Il lui arrive de mentir, de juger les autres, d’être souvent très centrée sur elle-même… bref, elle est une humaine, avec ses qualités et ses défauts.

En la dépeignant comme étant majoritairement une victime de violence psychologique, je crois qu’on lui enlève une partie fondamentale de son personnage, de son «agentivité» en tant que femme, et d’une part de son impact sur la représentation des femmes à travers la fiction. C’est en partie grâce à celle-ci si les femmes ont été plus souvent dépeintes comme des individus avec des contradictions et des vies intérieures complexes, par la suite.

Mister Big est toxique, certes, mais Carrie participe aussi activement à la relation. Elle n’est en aucun cas passive, et je ne crois pas qu’elle soit seulement la victime de cet homme. Selon moi, ce personnage est beaucoup trop complexe pour le réduire à cette vision aussi simpliste.

Malgré ce petit bémol, le livre reste un véritable plaisir à lire et à relire. Avec une plume assurément féministe, directe et sincère, India Desjardins a su livrer ici une analyse qui est importante à mon sens, et sa passion contagieuse pour le sujet – et pour la comédie romantique! –, un genre souvent discrédité ou snobé, lui permet de poser une multitude de questions fondamentales sur la représentation des femmes dans les médias.

Mister Big ou la glorification des toxiques vous aidera à réfléchir sur votre rapport à la fiction et sur les façons dont l’amour est dépeint à travers vos films préférés.

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