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Crédit photo : Les Éditions Hurtubise
Le profil des victimes en révèle souvent beaucoup sur les fondements identitaires et familiaux du meurtrier. Dans le cas du polar Meurtres et autres sucreries, écrit par l’auteur brésilien Jô Soares, le lecteur connaîtra dès les premières pages les motifs et traumatismes qui ont poussé le désaxé Charon Barroso à tuer. Ce dernier, décrit physiquement comme un grand homme maigre, a vécu auprès d’une mère contrôlante et d’un père soumis. En fait, OdÍlia Barroso craignait que son fils ne devienne aussi énorme qu’elle. Le petit garçon fut donc nourri chichement alors que sa chère mère adorait faire la cuisine et surtout manger sans réserve. Après la mort de celle-ci, le traumatisme relié à l’enfance et au lien maternel du Charron adulte ne serra pas effacé, au contraire. Le but premier de l’homme sera d’assassiner de multiples fois sa mère à travers les autres femmes conformes à son image. Un geste libérateur quoi.
La série de meurtres se déroule à Rio de Janeiro en 1938. Les divers médias traitent inévitablement de ces assassinats aussi étranges que morbides et Filinto Müller, chef de la police nationale, souhaite que cette histoire se règle le plus rapidement possible. Le commissaire Mello Noronha, grand manitou de l’enquête, aidé d’abord par son adjoint, l’inspecteur Valdir Calixto, se verra offrir de l’aide surprise qui s’avèrera au final très utile. Tobias Esteves, ancien inspecteur de police à Lisbonne, œuvrant maintenant dans le domaine de la pâtisserie, souhaite lui aussi résoudre ce mystère sucré.
Tout au long de l’enquête, les questionnements philosophiques et les raisonnements brillants comme malhabiles fusent, alors que du même coup, des femmes continuent d’être assassinés par un personnage qui concocte des mises en scène imaginatives autour de ces obèses. Il faut dire que Charron est placé dans une bonne position. Il a poursuivi son travail au sein de l’entreprise de pompes funèbres familiale appelée Styx, une firme reconnue, très lucrative et qui lui appartient désormais. De plus, sa technique pour attraper ses victimes est pour le moins efficace: un corbillard blanc et une porte latérale qui, lorsqu’elle est ouverte, permet d’exhiber de jolies sucreries si savoureuses et si tentantes. Le tour est joué.
Le lecteur suit en parallèle les nouvelles actions du meurtrier envers ces femmes de tous les horizons et l’avancement de l’enquête de l’équipe de Noronha. Bien que ce que l’on surnomme «l’affaire des Étouffées» soit somme toute originale, le plus intéressant dans ce polar reste les relations créées entre les personnages qui investiguent pendant toute cette aventure. À ce titre, l’arrivée de Diana de Souza, reporter pour la revue O Cruzeiro, apportera un nouvel angle de vue à l’équipe bricolée sur mesure du commissaire Mello Noronha. La femme travaillant au cœur du conglomérat médiatique appartenant à Assis Chateaubriand s’impliquera un peu plus dans l’enquête que ses intentions de départ ne le laissaient croire. C’est justement la collaboration des nouveaux venus et le bagage (intellectuel, expériences) de ceux-ci qui contribuent à rendre cette affaire plus captivante, tout comme la personnalité de chacun bien portraiturée par l’auteur.
Dans une autre perspective, la valeur du roman réside aussi dans la description du contexte historico-politico-culturel de l’époque dans laquelle s’inscrit cette série de meurtres. Comme l’indique dans son avant-propos l’écrivain Soares, le Brésil est sous le régime dictatorial de Getúlio Vargas qui puise son inspiration dans les tendances fascistes présentes en Europe. Même si l’histoire se passe à Rio de Janeiro, les échos du monde en plein temps d’avant la Deuxième Guerre mondiale se font sentir partout. La toile de fond historique tout comme les références factuelles de cette période marquante ponctuent le livre. Même la Coupe du monde de football est contextualisée. «La Coupe, cette fois, est marquée par les événements politiques. L’Allemagne nazie vient d’annexer l’Autriche et d’intégrer des joueurs autrichiens à son équipe. Et les Italiens ont été conspués quand ils sont entrés sur le terrain en faisant le salut fasciste.» Il faut toutefois rappeler que la série d’assassinats est tout à fait fictive.
Meurtres et autres sucreries, avec son fond historique très appuyé et des personnages intéressants, épouse la forme du polar populaire. Il a l’avantage d’offrir au lecteur une mise en perspective historique que ce celui-ci ne trouverait peut-être pas ailleurs. Dommage que l’on ne s’accroche pas autant au nœud de l’histoire, qui reste tout de même les meurtres de ces goinfres féminins.
«Meurtres et autres sucreries» de Jô Soares (traduit du portugais par François Rosso), Les Éditions Hurtubise, 2013, 270 pages, 24,95 $.
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