LittératureRomans québécois
Mayonnaise est le deuxième tome de la trilogie 1984 d’Éric Plamondon qui explore l’univers fascinant des États-Unis du XXe siècle à travers des personnalités qui ont marqué la petite histoire du pays. Alors que le premier tome, Hongrie-Hollywood Express retrace la vie de Johnny Weissmuller, l’athlète olympique qui incarna Tarzan au grand écran, le deuxième ouvrage de la série parle de Richard Brautigan, le «dernier des beatniks». Pomme S – le prochain et dernier tome à paraître – s’intéressera à l’illustre Steve Jobs et à la révolution de l’informatique.
Avec une écriture protéiforme, un peu nerveuse, Éric Plamondon nous a habitués, depuis Hongrie-Hollywood Express, à des lectures addictives. Constitué d’une centaine de micro-chapitres, Mayonnaise est un petit roman qui se lit d’un seul souffle. Alternance de narration, de poésie, d’introspection et même d’haïku et de calligramme, chaque petit texte arrive à propos, vise juste, nous désarçonne. La construction de cette œuvre impose au lecteur l’urgence d’aller au bout de ses 200 pages, puisque chaque petit chapitre est comme un coup de pinceau sur une toile encore abstraite. Ce tableau nous dévoile, au final, un portrait. Celui de Richard Brautigan.
Mais d’abord, il est essentiel de préciser que Mayonnaise, le titre du roman, a, malgré les apparences, toute sa pertinence. S’agissant du dernier mot de l’œuvre phare de Brautigan, La pêche à la truite en Amérique, la mayonnaise devient, dans le roman de Plamondon, la métaphore de la délicate négociation de la vie humaine: elle lève ou elle ne lève pas. À travers la figure du poète maudit, Plamondon interroge la question du suicide. Il questionne le pourquoi. Pourquoi, un bon jour, on se tire une balle dans la tête? Pourquoi, un bon jour, on choisit qu’il n’est plus utile de vivre? Les réponses à ces questions vaines, le narrateur, Gabriel Rivages, les devine dans l’œuvre et l’homme que sont Brautigan, et sur ce plan, la construction de l’œuvre nous démontre un nouveau tour de force. L’auteur parle de Brautigan, tout en parlant en Brautigan. L’écriture s’incarne dans son objet. Et là réside toute la beauté de ce roman qui est un vibrant hommage au dernier des beatniks.
On peut considérer le roman comme une vaste enquête, ou alors comme une histoire d’amour, c’est selon. Gabriel Rivages, le narrateur, nous apprend sa fascination pour Richard Brautigan. Il entremêle des passages de la biographie de l’auteur à la narration de sa propre vie et établit ainsi de belles coïncidences qui lui permet de reconstituer son identité. Mais ce récit s’insère dans un tissu de références et d’anecdotes qui nous donne à voir un univers parallèle à celui de l’histoire étatsunienne telle qu’elle nous est habituellement livrée. Un peu comme le Freakonomics de Steven Levitt et Stephen J. Dubner, on se rend compte que les faits, pris sous une nouvelle perspective, peuvent avoir une signification toute autre. Par exemple, le narrateur refait la petite histoire de la machine à écrire dont les fabricants étaient à l’origine des concepteurs d’armes à feu: «On est passé du chien de fusil à l’alphabet. L’industrie de la machine à écrire est née. Elle porte en elle le souvenir de la gâchette, sa genèse. Quand on appuie sur une touche, on tire une lettre. Ça fait tchac! Il y a l’écho des détonations passées. Tous ces écrivains qui se sont suicidés, c’est à force de tirer toutes ces lettres comme des balles. Ils sont victimes d’une lettre perdue.»
Mayonnaise est une œuvre brillante, autant sur le plan de sa structure que de son écriture. C’est le genre de roman dont la lecture nous procure un sentiment merveilleux, soit celui de «se coucher moins niaiseux». On tombe sous le charme d’Éric Plamondon, mais aussi, par ricochet, de l’œuvre de Brautigan qui nous permet de patienter jusqu’à la parution du prochain tome.
Appréciation: ****
Crédit photo: Le Quartanier Éditeur
Écrit par: Catherine Groleau