«Maisons paysage» de l’architecte Pierre Thibault – Bible urbaine

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«Maisons paysage» de l’architecte Pierre Thibault

«Maisons paysage» de l’architecte Pierre Thibault

Intention louable, cible ratée

Publié le 12 octobre 2014 par Isabelle Léger

Crédit photo : Alain Laforest et Pierre Thibault

Dans un pays où le rapport des habitants à l’architecture est quasi inexistant, les efforts de Pierre Thibault pour vulgariser la pratique architecturale et, surtout, susciter l’intérêt à son égard sont louables. Praticien se concentrant principalement sur le résidentiel mais non théoricien, Thibault propose ici un parcours parmi ses réalisations des dernières années sur le thème des paysages naturels et urbains. Si le but de ce quatrième livre est d’expliquer «l’évolution du processus qui conduit à la maison finale», le résultat ne convainc pas entièrement.

Le premier réflexe du lecteur tenant un livre d’architecture ou de design, c’est de le feuilleter d’une couverture à l’autre. Premier constat: il est composé à 80 % d’images réparties entre photos, croquis, maquettes et plans. Deuxième constat: les maisons sont impressionnantes. Le propos étant l’insertion du bâtiment dans le paysage, les photos accordent autant d’importance à l’environnement qu’au bâti. Si la facture sobre du papier mat, l’éclairage parfois faible et le grain souvent visible des photos confèrent une certaine douceur à l’ouvrage, il faut admettre que quelques pages sont tout simplement ternes.

Néanmoins, là n’est pas le principal bémol. Toutes les photos des intérieurs présentent des aires lisses, des murs vides, des espaces qui semblent inhabités ou à peu près. Des chaises, un fauteuil, un luminaire, une plante, tout cela ne suffit pas à rendre un lieu vivant. Évidemment, on touche ici à une question qui ne concerne plus la photographie, mais bien l’esthétique néomoderniste et sa capacité à créer l’intimité, à susciter l’appropriation en habitation. C’est un sujet à débat. En outre, une photo peut difficilement rendre le sentiment éprouvé au moment de pénétrer dans une pièce. Il n’est toutefois peu judicieux d’opter pour ce genre de représentation lorsqu’on souhaite amener un lectorat non initié à considérer le travail de l’architecte comme proche de sa réalité.

Pierre-Thibault-Maisons-paysage-Grand plateau

Que l’on se penche sur les photos ou sur les plans, LA maison Thibault ressort page après page, sensiblement la même: vue de l’extérieur, un assemblage de boîtes, juxtaposées ou superposées; vue de l’intérieur, une succession d’espaces délimités par le mobilier. À n’en pas douter, la fenestration abondante donnant sur des environnements majestueux ou paisibles offre aux occupants une connexion directe avec la nature. Cela fait-il pour autant de ces maisons des modèles d’intégration dans le paysage? Il y a confusion entre l’humain et le bâtiment à cet égard. Mis à part l’argument que toute construction est une transformation de l’environnement, le fait est qu’il n’y a pas de lignes pures dans la nature. Le cube n’en fait pas partie. La nature est tordue, irrégulière. Et autosuffisante. Les toitures de Thibault n’ont même pas de panneaux solaires…

Pierre-Thibault-Maisons-paysage-Maison blanche

Au plan des textes, le lecteur attentif se lassera rapidement du style, qui cherche à faire littéraire et tombe souvent dans l’anecdotique. Se voulant tantôt pédagogique, tantôt narrative, l’écriture pêche régulièrement par imprécision ou confusion. Lire que «la cuisine fait office de pivot» alors que le plan la montre à l’extrémité gauche est déroutant. Dire que l’on accède à une résidence par une faille comme dans une huître, ça n’a pas de sens, surtout lorsque l’ouverture est verticale et qu’on précise dans la phrase suivante que les murs sont vitrés. Insister pour utiliser le mot volume pour parler d’espace, de section ou de surface est non seulement agaçant (volume simple, volume principal, volume d’origine), mais conduit aussi à des aberrations comme volume pur et le volume fait 100 m carrés. Les occurrences de mauvaise utilisation de la langue sont nombreuses et l’enflure verbale, fréquente.

Ironiquement, le chapitre le plus intéressant est celui consacré à un jardin temporaire créé à la place Jacques-Cartier. Le texte explicatif, les jolis croquis, les maquettes et les photos décrivent le processus créatif de façon claire et présentent un exemple d’intégration manifestement réussie. On a même un petit regret d’avoir manqué cette installation proche de l’art in situ.

Si Pierre Thibault persiste à prétendre vouloir expliquer l’architecture, il devra cesser de se glorifier lui-même et se tourner davantage vers les autres.

«Maisons paysage» de Pierre Thibault, préface de Denys Arcand, est publié aux Éditions La Presse.

Pierre Thibault Maisons paysage jardin-M

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