LittératureRomans québécois
Les éditions de Ta Mère, en collaboration avec treize auteurs d’ici, ont eu récemment l’initiative de faire paraître un recueil de nouvelles fort sympathique intitulé Maison de vieux. À travers cette pluralité d’histoires tantôt coquines, tantôt tristounettes, on découvre et redécouvre les hauts et les bas (surtout les bas) de la vieillesse et des foyers pour personnes âgées, thèmes centraux de ce petit bouquin qui, mine de rien, ira bien loin.
D’emblée, l’une des plus belles qualités de ce livre n’est pas son contenu ou la qualité de ces nouvelles, mais sa portée, puisque les éditions de Ta Mère et tous les auteurs de ce recueil ont décidé de remettre leurs redevances à la Fédération Québécoise des Sociétés d’Alzheimer. Une initiative, en somme, exceptionnelle qui mérite d’être soulignée avant toute chose.
Le recueil démarre sur les chapeaux de roues avec l’histoire un brin dramatique Chambre 61, au sein de laquelle Sandrine Galand plonge son lecteur dans l’esprit vif mais ébranlé de Madame Le Goff, une femme âgée qui vient d’emménager dans une maison de retraite. Ses enfants ont tout prévu, sauf peut-être les réactions de leur mère, qui n’était pas du tout préparée à ce changement drastique. Très rapidement, la vieille dame se laisse submerger par un flot de pensées pessimistes et défaitistes qui l’obligent à réfléchir sur son propre sort et sur sa mort imminente, qui n’est pas bien loin dans le détour, hélas!
«Au moment de lui choisir une maison de retraite, ses enfants ont pensé à tout. Du moins, c’est ce qu’ils aiment se répéter les uns aux autres. Le jour où ils ont visité le centre pour la première fois, ils sont rentrés enthousiastes. Trop. Ils avaient visité toutes les chambres libres et avaient choisi la perle rare: une chambre avec une grande fenêtre donnant sur le parc. Ainsi, elle aurait toute la lumière dont elle pourrait rêver et ne serait pas embêtée par le bruit de la rue. Elle avait eu envie de leur dire qu’elle n’était pas embêtée par grand-chose et que la grandeur de la chambre de changeait rien au fait qu’ils l’avaient arrachée de chez elle. Mais il était trop tard pour ce genre de remontrances.»
Certaines nouvelles possèdent cette rare finesse d’esprit au niveau du style d’écriture, mais rares sont celles qui ébranlent autant que cette dernière. Chambre 2 est également un récit fort touchant, puisque l’auteure Marie-Andrée Arsenault met en scène une jeune fille qui s’adresse à son grand-père décédé, dont les souvenirs, exceptionnellement beaux et poétiques, refont surface l’espace d’un instant. On décèle à travers cette plume fine et dégourdie une sensibilité accrue et un regard sur la mort très touchant.
Le ton du recueil oscille généralement entre le drame et l’humour, mais la plupart des nouvelles ont été composées dans l’optique «humour tordue» des éditions de Ta Mère. Par contre, nous sommes à des années-lumières de l’humour efficace du roman illustré Ménageries de Jean-Philipe Baril-Guérard, comme en font foi quelques histoires un peu moins réussies, notamment Chambre 17 de Julien-Pier Boisvert, Chambre 14 de Pierre-Philippe Gouin ou encore Loge d’Isabelle Claude dite Grandjean, qui se perdent dans un humour parfois absurde duquel on a beaucoup de difficulté à se relever.
Maison de vieux aurait certes gagné à tisser un fil conducteur un peu plus homogène. Certaines nouvelles scintillent de par leur intelligence et leurs réflexions lucides sur notre société vieillissante, alors que d’autres s’égarent, malheureusement, dans un style disparate où, au bout du compte, le lecteur se trouve plus ennuyé qu’enjoué.
Appréciation: ***
Crédit photo: Les éditions de Ta Mère
Écrit par: Éric Dumais