LittératureLire un classique avec
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Sébastien, on est ravis de pouvoir échanger avec toi! Dis-nous tout: toi qui es réalisateur et scénariste, d’où t’est venue la piqûre pour le septième art?
«J’étais fou de cinéma lorsque j’étais enfant. Je voyais les films à la télé et au cinéma de 17 h, comme Enfer mécanique, Duel, King Kong, L’invasion des profanateurs… Souvent, j’étais fasciné par des œuvres que je ne comprenais pas trop. Puis, j’ai passé mon adolescence dans les clubs vidéo. J’étais tout le temps au club de mon village. C’était sans doute, pour moi, l’endroit le plus intéressant du coin. En plus, je connaissais leur inventaire par cœur, même que je remplaçais parfois le propriétaire lorsqu’il devait s’absenter!»
«Mais c’est au cégep, grâce à un cours complémentaire, que j’ai eu la piqûre du cinéma d’auteur, des cinémas nationaux et de l’histoire du cinéma, et où j’ai également découvert des cinéastes tels que Bergman, Buñuel et Kieślowski.»
«Ma cinéphilie s’est surtout développée, je dirais, avec les livres, puisque la plupart du temps, je n’avais pas accès aux films eux-mêmes. Ainsi, je rêvais les films que je n’avais pas vus.»
Tu sembles avoir un penchant pour les films à caractère dramatique, puisque tu as signé le scénario et/ou la réalisation de films tels que Le vendeur (2011) et Le démantèlement (2013). Qu’est-ce qui t’attire particulièrement dans ce genre cinématographique, en fait?
«Le drame comme genre… je ne sais pas. J’ai toujours eu l’impression de réaliser des chroniques davantage que des drames, même s’il y a effectivement des éléments dramatiques à travers mes films. Avec Maria Chapdelaine, j’avais le goût de me rapprocher d’un certain classicisme, c’est-à-dire de réaliser un film qui se situe à la frontière du western classique associé aux grands espaces (je pense ici aux films de John Ford), et du mélodrame domestique américain associé à la maison.»
«Je trouvais intéressante l’idée de voir les personnages passer d’un espace à l’autre, d’un genre à l’autre. Cela dit, vous savez, j’ai un penchant pour la comédie aussi! J’aime le bon cinéma, peu importe le genre.»
Récemment, la Bibliothèque québécoise a fait paraître une réédition du roman Maria Chapdelaine de l’auteur français Louis Hémon, un véritable classique de la littérature du terroir. Quelle relation entretiens-tu personnellement avec ce drame historique?
«Louis Hémon a passé plusieurs mois au Lac-Saint-Jean avant d’écrire son célèbre roman. C’est ma région: j’y suis né, j’y habite encore et j’y ai même tourné tous mes films. Évidemment, je me reconnais là-dedans!»
«Je l’ai lu pour la première fois lorsque j’étais au cégep et je l’ai relu à l’université. D’ailleurs, j’ai intégré des éléments du roman de Hémon dans Le vendeur… L’un des personnages s’appelle François Paradis, et puis nous avons tourné à Mistassini. Mais c’est pendant la préparation pour Le démantèlement, mon deuxième film, que j’ai vraiment “découvert” l’ouvrage de Louis Hémon.»
«Gabriel Arcand habitait avec nous sur le bord du lac Saint-Jean. Nous étions dans un chalet qu’on m’avait prêté à Saint-Henri-de-Taillon, juste à côté du lieu où se déroule l’action du roman. Dans la petite bibliothèque du chalet, il n’y avait qu’un seul livre. C’était Maria Chapdelaine: récit du Canada français. J’ai décidé de le relire à temps perdu.»
«Au début je pensais feuilleter seulement quelques pages, mais au final je l’ai lu en entier. Et ça a été une révélation… C’est comme si le roman, et aussi le film à venir, m’avaient sauté aux yeux. Je me suis dit: “Ce sera mon prochain projet”. Il s’agissait pour moi de la continuité du travail amorcé avec Le vendeur et Le démantèlement.»
«Tu vois, s’il y avait eu dix films adaptés de l’oeuvre, j’aurais souhaité réaliser le onzième… Ce roman pourtant maintes fois récupéré, analysé, commenté, détourné, mythifié, sous une couche de sédiments, il était là, intact. C’était une vraie découverte.»
Et qu’est-ce qui t’a principalement donné envie de le porter au grand écran en 2021?
«Travailler à partir de ce roman, de ce mythe, c’est disposer d’un très grand réservoir d’images, de clichés et d’idées reçues, et duquel il faut faire un bon usage. C’est à la fois une richesse et un problème. Un peu comme lorsqu’on fait du cinéma de genre, par exemple… Il faut là aussi savoir travailler avec un grand bassin d’images et de clichés. Et ça, c’est intéressant, car il y a quelque chose de passionnant dans le fait de raconter une histoire qui a déjà été racontée plusieurs fois. Comme un mythe, une légende ou un conte…»
«Le fait de savoir que plusieurs connaissent déjà l’histoire avant de voir le film n’est pas un problème pour moi. C’est même très libérateur! C’est dire: “Regardez comment je vais vous la raconter, moi, à ma manière, cette histoire-là. Et peut-être qu’ensuite vous allez la voir différemment”. Ce simple récit en raconte plusieurs autres… La prémisse n’est qu’un prétexte, en fait. Je dis souvent que l’histoire ce n’est pas le film, que ce n’est pas le cinéma. L’histoire, c’est la belle excuse pour faire du cinéma!»
«Pour ce qui est de celle de Louis Hémon, Félix-Antoine Savard disait: “L’œuvre est assez ample et profonde pour qu’on y mette chacun ses désirs, ses rêves, ses regrets”. Ce roman est donc une véritable invitation à faire du cinéma. Je dis tout ça, mais je pense que les gens connaissent davantage ce qu’on a dit du roman, le mythe autour finalement, que le livre lui-même. J’ai aussi souvent l’impression que ceux qui en parlent ne l’ont tout simplement pas lu…»
«Lorsqu’on répète sans cesse cette fameuse phrase: “Au pays de Québec, rien ne doit mourir et rien ne doit changer”, on oublie que le roman contient une multitude de métamorphoses. Les personnages, les saisons, la forêt… On devrait plutôt dire: “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”! Une loi tout à fait naturelle et universelle, en somme.»
«Il y a un peu du paradoxe révolutionnaire de Lampedusa et du Guépard dans Maria Chapdelaine: “Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change”. Et je trouve ce genre de contradiction fascinante. Alors qu’on souhaite lui donner un caractère figé, le roman contient plusieurs ambiguïtés comme celle-là.»
«Et c’est justement cela que je voulais faire ressortir dans le film, à savoir ces ambiguïtés qui, loin d’être figées, sont continuellement en mouvement.»
Si tu avais la chance de remonter le temps et de rencontrer Louis Hémon, en chair et en os!, oui Monsieur, le vrai!, de quoi jaseriez-vous ensemble le temps d’un bon souper?
«J’aimerais lui raconter l’extraordinaire destin qu’a connu son livre. J’aimerais lui parler de ma lecture et de mon interprétation. Après le souper, j’aimerais lui montrer mon film, peut-être.»