LittératureLire un classique avec
Crédit photo : Serge Roy
Marcel, en plus d’avoir été professeur de littérature au Département de français de l’Université d’Ottawa, tu as écrit plusieurs essais et recueils de poèmes parus chez divers éditeurs, dont Bibliothèque québécoise, Écrits des Forges et Éditions de l’Hexagone. On est curieux de savoir: d’où t’est venue la piqûre pour l’écriture?
«D’abord, je suis tenté de dire que si on écrit, c’est parce qu’on a lu! Quand j’étais petit, mes parents ont eu la sagesse d’alimenter ma boulimie de lectures sans trop poser de questions; et de fil en aiguille m’est venu le désir de communiquer, moi aussi, par l’écrit. Étant par ailleurs d’un naturel plutôt réservé, il me semblait que ce mode de communication “différé” me permettait de dire ce que j’avais à dire sans m’exposer trop directement.»
«Plus tard, par affinités (si j’ose m’exprimer ainsi), c’est tout naturellement que j’ai entrepris des études en littérature; il faut croire que la forme “essai” m’est restée comme une “déformation professionnelle”, à force de me livrer à des analyses littéraires, dans le cadre de mes cours, chaque trimestre. Quant à la pratique de la poésie, elle m’est tout bonnement venue à la suite d’un atelier de création littéraire offert par le grand poète Gatien Lapointe, qui était par ailleurs directeur de la maison d’édition les Écrits des Forges…»
Spécialiste de l’œuvre de Jacques Ferron, tu as publié Le fils du notaire. Jacques Ferron: genèse intellectuelle d’un écrivain en 1997, livre que la Bibliothèque québécoise nous propose de redécouvrir avec sa réédition parue le 3 février dernier. Qu’est-ce qui t’a fasciné chez cet écrivain québécois du XXesiècle, au point de te plonger dans l’analyse approfondie et la réédition de ses manuscrits?
«En premier lieu, j’ai été séduit par le style de Jacques Ferron, “un des miracles de la langue française” – comme dit le critique Jean Marcel – qui ne connaît aucun équivalent dans la littérature québécoise. L’essayiste Pierre Vadeboncoeur prétendait pour sa part que le style de Ferron repose sur une écriture “appuyée sur trois siècles” de littérature; voilà surtout ce qui fait de lui un égal des plus grand prosateurs de la langue française.»
«Ensuite, j’ai été ébloui par son érudition: Ferron est un esprit universel, qui s’intéresse aussi bien aux grandes questions de l’humanité qu’aux anecdotes pittoresques du Québec d’autrefois. Enfin, d’un point de vue plus personnel, j’ai toujours été intrigué par ce que l’auteur dit de lui-même dans ses livres: je suis surtout fasciné par les nombreux textes autobiographiques de Ferron, les récits de son enfance, de sa jeunesse, de ses années d’étude, etc. Dans une démarche toute historienne, j’ai voulu aller voir ce qu’il en était de ces affirmations.»
À sa sortie, ton ouvrage s’est démarqué en remportant les Prix Victor-Barbeau, Jean-Éthier-Blais et Raymond-Klibansky, en plus d’être finaliste au Prix du Gouverneur général. Comment as-tu accueilli ces récompenses, à l’époque, et qu’est-ce que cela fait de voir que le succès de ton travail s’inscrit dans le temps, puisqu’il est désormais considéré comme un «classique» par la Bibliothèque québécoise?
«J’ai accueilli ces distinctions avec beaucoup de gratitude et un peu d’incrédulité! À vrai dire, je me suis senti comblé, puisque ces trois prix, dans leur diversité, récompensaient à la fois les qualités littéraires (Victor-Barbeau) et scientifiques (Raymond-Kibansky) du Fils du notaire, tout en reconnaissant ses qualités de critique littéraire (Jean-Éthier-Blais).»
«En ce qui concerne la réédition du livre, je n’aurais jamais osé rêver qu’il se retrouve un jour dans la Bibliothèque québécoise, qui représente, pour moi comme pour beaucoup d’autres, “le ciel des écrivains canadiens” (pour paraphraser Ferron à propos de la vénérable collection du Nénuphar)! Cette nouvelle publication donne littéralement une seconde vie à l’ouvrage; en même temps, comme il s’agit d’une édition de poche, elle touchera un lectorat potentiellement plus grand. Sur ce plan aussi, me voici comblé!»
Présentement, tu travailles sur l’édition en trois volumes de la correspondance entre Jacques Ferron et l’essayiste Jean Marcel au cours des années 1965-1985. D’où t’est venue l’envie de te pencher sur leurs échanges et que souhaites-tu mettre en lumière à travers ce projet?
«Jacques Ferron a été toute sa vie un infatigable épistolier – on lui connaît plus de 300 correspondants! Cependant, c’est avec Jean Marcel qu’il a trouvé un destinataire à sa mesure. L’auteur du Joual de Troie, savant médiéviste, est le seul interlocuteur qui a su discuter d’égal à égal avec Jacques Ferron, sans se laisser désarçonner par son intimidante érudition. “Tenir tête, quelle belle, quelle humaine, amicale expression! En me tenant tête, vous avez le droit de me dire ce qui vous plaît et je ne vous en ferai jamais reproche”, écrit Ferron à son jeune ami.»
«Cette correspondance nous donne accès à un processus créatif réciproque fort intéressant: les travaux et les intérêts de Jean Marcel ont pour effet de stimuler l’imagination du romancier et de l’engager dans des discussions serrées qu’il n’aura avec aucun autre de ses correspondants… Il en résulte une correspondance absolument éblouissante, l’une des plus belles de toute la littérature québécoise.»
Si tout était possible – y compris remonter dans le temps – et que tu croisais au hasard d’une promenade Jacques Ferron dans la rue, serais-tu à l’aise de l’aborder pour aller prendre un café avec lui? Si oui, on aimerait beaucoup savoir de quoi tu aurais voulu parler avec lui!
«Je serais grandement intimidé de rencontrer Jacques Ferron, d’autant plus que l’auteur de L’amélanchier – qui était lui-même timide – avait, dit-on, des rapports assez distants avec ses interlocuteurs.»
«D’abord, je serais curieux de savoir ce qu’il pense du Fils du notaire, qui, après tout, est un ouvrage à caractère biographique: est-il d’accord avec le portrait que je fais de ses années de jeunesse? Ai-je vu juste ou, au contraire, le romancier se sent-il trahi? J’aurais ensuite essayé de le rassurer sur la postérité de son œuvre, lui qui était fort modeste et qui se considérait avant tout comme un écrivain mineur.»
«L’œuvre de Ferron, comme celle de tous les très grands auteurs, n’est pas toujours d’un abord facile, mais le rayonnement de sa pensée et de son œuvre sont immenses; elles touchent un lectorat discret, mais très influent. Finalement, je lui dirais que ses livres m’ont aidé à vivre, tout simplement!»