LittératureRomans étrangers
Crédit photo : grasset.fr
D’emblée, nul doute que les premiers émois amoureux forment une période inoubliable lorsque l’on se remémore sa vie. Dans le récit «Premier amour», comme tout au long du roman, le «je» qui s’exprime, c’est Paul. D’ailleurs, celui-ci écrit dès le début: «Je suis revenu pour lui.» Lui, c’est Giovanni, le menuisier dont il est tombé amoureux dans sa jeune adolescence alors que ses parents possédaient une propriété sur l’île de San-Giustiniano.
Avec une plume aussi soignée et stylisée, le lecteur se délecte rapidement des souvenirs de ce jeune de douze ans qui est si excité de rendre visite à cet homme, fantasmant à une réciprocité des désirs, une envie folle de passer toutes les secondes auprès de lui. Les questionnements, déceptions et montées d’adrénaline nous transportent jusqu’à la chute, au punch, sans nous laisser le temps de respirer. Grandiose.
Dans «Fièvre de printemps», aux questionnements s’ajoutent ici les suspicions alors que Paul aperçoit Maud avec un autre homme. Des interrogations surgissent immédiatement dans son esprit et la jalousie semble poindre à l’horizon… Au fil de ce deuxième récit, on retrouve l’univers des personnages d’Aciman: des femmes et des hommes érudits, littéraires, thésards, bourgeois, tout comme dans son livre adapté magnifiquement au cinéma par Luca Guadagnino, Appelle-moi par ton nom.
S’ensuit le récit «Manfred», dans lequel le narrateur décrit le désir qu’il éprouve pour Manfred, joueur de tennis qu’il côtoie sur le terrain de sport et dans les vestiaires. L’écrivain réussit réellement à nous faire entrer dans la tête de Paul, tant la description des faits et gestes de cet homme est précise et empreinte de passion. On y retrouve la même charge érotique ainsi que le même mélange d’observations banales mais ô combien prenantes et émouvantes que dans «Premier amour», qui ouvre Les variations sentimentales.
Les deux derniers récits, «Amour stellaire» et «Abingdon Square», mettant respectivement en scène Chloé et Heidi, s’inscrivent directement dans les variations sentimentales que l’auteur place au cœur de son œuvre: les doutes, les allers-retours de l’âme, ainsi que la mince ligne qui sépare la réelle passion amoureuse de l’éphémère jeu de séduction. L’intensité des sentiments est toutefois moins puissante et évocatrice ici que dans les récits précédents.
Tout compte fait, André Aciman est l’un des rares écrivains à décrire de manière aussi admirable et puissante les tourments inhérents au désir, ses hauts et ses bas, de même que toute la gamme d’émotions qui s’expriment entre ces deux pôles. Sa plume est particulièrement imaginative et sensible lorsqu’il évoque les désirs homosexuels, peut-être parce qu’ils sont encore peu décrits avec une telle sensualité. L’appréciation de son style est aussi attribuable au formidable travail de traduction effectué par Anne Damour.
On devine que le lecteur attend avec trépignement sa prochaine œuvre.
Les variations sentimentales d’André Aciman, dans une traduction d’Anne Damour, Grasset, 2019, 368 pages, 29,95 $.
L'avis
de la rédaction