LittératureRomans québécois
Crédit photo : Druide
Réelle introduction au recueil, la première nouvelle (qui donne son titre à l’ouvrage) pose des questions essentielles. Qui lit les faits divers? Et qui les rédige? En fait, y a-t-il des conséquences à s’intéresser à ces épisodes morbides de la vie quotidienne?
Se déroulant dans les grandes villes de Québec et de Montréal, donnant par le fait même ce cachet urbain aux lieux explorés, les nouvelles qui constituent le recueil s’avèrent des situations probables et réalistes dans lesquelles le protagoniste ne peut échapper au drame qui l’attend. La fatalité du destin est donc incarnée par vingt et une voix narratives distinctes. Il y a autant de narrateurs (je, tu, il), de styles d’écriture et de variations du registre de la langue qu’il y a de nouvelles.
L’étendue des sujets touchés s’avère ainsi assez vaste. Au fil des pages, le lecteur plonge dans la peau d’un criminel, explore la violence conjugale se déroulant derrière la façade des bungalows, découvre la nature profonde des gens qui est révélée lors de conditions extrêmes. L’amour n’est pourtant pas absent, il n’est jamais trop loin du crime. On a droit à un lot de déceptions amoureuses, de romantisme sombre et de gestes posés par amour. Au final, il n’y a rien pour rassurer les craintes quant à la nature bonne ou mauvaise de l’être humain. Le recueil est l’exact opposé de cette désormais célèbre expression du web: «Faith in humanity restored.»
Aussi, les procédés dont se sert Latulippe sont particulièrement efficaces. On pense à l’inversement soudain des rôles (ou du moins de notre perception de la situation), à la transition du positif vers le négatif, et vice-versa, qui transforme complètement la nouvelle entre son début et sa chute, ou encore, à la perte de contrôle récurrente chez les protagonistes qui deviennent spectateurs de leur sort. L’auteure met en lumière nos idées préconçues avec précision et nous déstabilise sans cesse.
Effectivement, Les faits divers n’existent pas se dévore, bien que l’on se dise parfois, en raison de la «lourdeur» du propos, que l’on devrait peut-être étaler notre lecture. C’est que les nouvelles comptent de deux à six pages et qu’il n’en faut pas plus à Martine Latulippe pour faire une forte impression, comme le prouve «L’ange gardien» qui, en deux pages, laisse sans voix son lecteur. La nouvelle «Quatre voix pour une séquence» se démarque quant à elle par sa forme, tout en illustrant l’impact que peut avoir ces faits divers.
En effet, même les personnages mentionnent ce concept de faits divers, ce noyau du recueil sur lequel tout repose. Cette cohérence est une grande force de l’ouvrage. Tant l’introduction que la conclusion, soit la première et la dernière nouvelle, s’inscrivent parfaitement dans cette lignée et permettent de former un tout.
Pour ce qui est de l’élément de surprise, question propre au genre de la nouvelle, il va sans dire qu’en raison de cette cohérence des sujets et de l’ambiance, ce n’est plus nécessairement les chutes qui surprennent. En fait, ce sont les textes plus légers – plus heureux? – qui étonnent et détonnent du lot.
Martine Latulippe se confirme maître du genre autant par la forme de ses textes que par le travail des thèmes. Ce style de nouvelles noires nous apparaît comme un excellent choix pour intéresser à ce genre littéraire des jeunes qui ne jurent que par les romans de Patrick Sénécal. Nous sommes surtout bien intrigués lorsqu’on se rappelle que l’auteure a publié jusqu’ici une quarantaine de romans jeunesse.
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de la rédaction