LittératureL'entrevue éclair avec
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Yvon, tu es un historien retraité de Parcs Canada. Au cours de tes études à l’Université Laval, tu as décidé de concentrer tes recherches sur l’histoire du canal de Lachine. Quel a été le déclencheur de ta passion pour l’histoire du Québec?
«Dès que je me suis joint à l’équipe de Parcs Canada, j’ai su que j’aimerais y travailler parce que je pouvais y effectuer de la recherche et, qui plus est, de la recherche sur l’histoire du Québec. Depuis ce moment – voici quelques années déjà –, j’ai toujours travaillé sur les sites du Québec et particulièrement de la région de Québec, bien qu’au cours des années 1990 et au début des années 2000, mes travaux aient porté sur quelques sites de la région de Montréal, notamment le canal de Lachine et le boulevard Saint-Laurent.»
«Alors que je travaillais sur le canal de Lachine, Parcs Canada m’avait aussi demandé d’aider le ministère des Anciens Combattants à aménager le premier centre d’interprétation de Vimy en France; je faisais donc double emploi. Mes études à l’Université Laval ont porté sur les fortifications de Québec, l’un des sites historiques les plus fréquentés de Parcs Canada au Québec, d’où le lien avec Vimy par le biais de l’histoire militaire.»
Nous sommes familiers avec ton travail d’historien grâce aux livres Sous les cieux de Québec: Météo et climat, 1534-1831, et Le canal de Lachine: Du tumulte des flots à l’essor industriel et urbain, 1860-1950 en collaboration avec Alain Gelly. Qu’est-ce qui t’a mené à t’intéresser à ces sujets certes variés, mais toujours en lien avec notre Belle Province?
«Diversité rime avec éclectisme. Je suis curieux de nature et j’aime apprendre.»
«Dans le cas du canal de Lachine, il s’agit d’un sujet fabuleux pour lequel je n’ai pas pu mener à bien tout le programme de recherche que j’avais élaboré. Lieu de navigation, lieu d’industrialisation, aqueduc industriel, le canal de Lachine est au cœur de la lancée de Montréal comme haut lieu économique du Canada. Les rapides de Lachine constituent un point de rupture pour la navigation jusqu’à ce que le canal soit aménagé. Par le biais du canal transite la production du Haut-Canada, appelée à être transformée dans les usines établies sur les rives du canal, de sorte que ce monde industriel devient aussi un milieu de vie, ainsi que le raconte Gabrielle Roy dans Bonheur d’occasion.»
«Quant à l’étude sur le climat, elle fait partie d’un ambitieux projet d’écriture et de recherche sur l’univers de l’alimentation et de la production agricole au Québec. En tant que citadins, nous avons perdu de vue que les agriculteurs ont besoin de la météo pour produire, et ce, autant aujourd’hui qu’autrefois. L’étude sur le climat se veut la phase préliminaire d’un projet en quatre tomes sur l’histoire de l’alimentation au Québec, des débuts de la colonie jusqu’à 1831.»
Le 3 novembre dernier, ton livre À table en Nouvelle-France, 2e édition est paru aux éditions du Septentrion. Tu y dresses notamment un portrait de l’évolution alimentaire au Québec en lien avec la colonisation, en plus de nous inviter à des tables inusitées comme celles des religieuses, du cuisinier du gouverneur français, du marchand, du cabaretier ou encore de l’administrateur britannique. Peux-tu nous raconter en quoi a consisté ton travail de récolte et de synthétisation de toutes ces informations?
«Ça fait 30 ans que je travaille sur l’histoire de l’alimentation au Québec, d’abord pour Parcs Canada et, depuis que je suis à la retraite, pour mon plaisir. La documentation que j’ai recueillie au fil du temps, d’abord avec un collègue aujourd’hui décédé, puis par moi-même, est époustouflante; les fichiers accumulés se chiffrent par milliers et couvrent à peu près tous les horizons de l’alimentation, depuis les productions locales (en analysant les changements survenus en cours de route) jusqu’aux habitudes alimentaires et aux tabous qui y sont associés, sans oublier les importations alimentaires.»
«Et cette documentation me permettra de couvrir tout le chemin qui me sépare des quatre tomes évoqués plus haut. Déjà le premier tome est rédigé et devrait paraître d’ici l’année prochaine. Il s’intitule Garnir le garde-manger et porte sur la production agricole de plein champ, comme les céréales, mais aussi sur les légumes cultivés en champ comme la patate.»
«Le deuxième tome portera sur la production et la consommation des viandes, domestiques et sauvages, ainsi que des poissons. Le troisième portera sur la culture maraichère ainsi que sur l’acériculture et les autres productions locales. Le dernier portera sur les importations alimentaires, car la “mondialisation” n’est pas une trouvaille récente; elle existe depuis plusieurs siècles. Tout ce qui a changé, c’est la vitesse avec laquelle les échanges se font.»
Et alors, peut-on avoir une petite idée de ce qui t’a motivé à proposer une seconde édition de ce livre paru initialement en 2009? On est curieux de savoir quel contenu a été modifié – ou ajouté – dans la version la plus récente!
«À table en Nouvelle-France résulte d’une demande que m’a faite le musée du Château Ramezay en 2009, par le biais de son directeur. Je venais de faire un texte sur les habitudes alimentaires de la Nouvelle-France pour le musée virtuel de la Nouvelle-France, et c’est ainsi qu’André Delisle m’a demandé si je voulais faire une exposition in situ sur le sujet, ce que j’ai accepté volontiers.»
«Le décor s’y prêtait admirablement bien. La publication d’À table en Nouvelle-France devait servir en quelque sorte de catalogue d’exposition, et me servait par la même occasion à faire le point sur les connaissances accumulées jusque-là. La publication était épuisée depuis quelques années, mais la demande pour l’édition papier continuait de parvenir aux éditions du Septentrion; alors, d’un commun accord, nous avons décidé de mettre à jour la première édition en retournant visiter les quelque 40 recettes, histoire de revérifier les temps de cuisson et les ingrédients.»
«Par ailleurs, quelques renseignements d’ordre climatique ont été discrètement insérés de façon à apporter un éclairage nouveau sur les conditions de production alimentaire d’autrefois. J’aurais pu réécrire une partie importante du bouquin, compte tenu de ce que j’avais accumulé comme nouvelles données, mais j’avais déjà entrepris la rédaction du premier tome de l’histoire de l’alimentation. À table en Nouvelle-France se veut une synthèse rapide de l’alimentation de nos aïeux aux XVIIe et XVIIIe siècles.»
On jase, là! Si tu avais carte blanche et que tout était possible – y compris remonter le temps –, dans quelle époque ou quel moment historique aimerais-tu être plongé le temps de quelques heures, et pourquoi?
«Eh bien, jasons! Si cela m’était possible, je ferais une incursion au XVIIIe siècle. On l’a surnommé le siècle des Lumières, parce que les idées et les connaissances scientifiques se sont succédé à un rythme ahurissant. Pour ne donner que quelques exemples, je mentionnerais l’apparition des premières inoculations (Edward Jenner et la variole, une maladie qui a causé de sérieux ravages parmi la population coloniale) afin de faire un trait d’union avec la situation actuelle; le recours à la vapeur, autant en usine qu’en navigation, d’abord en Angleterre, mais peu de temps après dans la colonie, avec l’apparition du bateau de Molson en 1809 sur le Saint-Laurent; l’évolution de la musique avec les grands compositeurs (Jean-Sébastien Bach et François Couperin notamment) et les grands artistes peintres (Jean Siméon Chardin notamment); mais aussi pour connaître la réaction des gens face à ce que nous qualifions de “réchauffement climatique” et qui s’est manifesté à l’échelle à tout le moins hémisphérique au cours du XVIIIe siècle.»
«Il y a d’ailleurs un lien à faire entre climat et peinture, puisque le XVIIe siècle est l’un des siècles les plus froids du second millénaire et dont les peintures sont plus sombres, contrairement à celles de la plupart des artistes du XVIIIe siècle, dont les toiles sont plus lumineuses, probablement à cause de l’air du temps…»