LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Justine Latour
Sophie, tu es historienne et conseillère littéraire en sciences humaines et en histoire aux Éditions du Boréal. À quel moment as-tu découvert que tu étais une mordue d’histoire, et qu’est-ce qui t’a motivée à faire carrière dans ce domaine?
«D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu faire carrière en histoire. Très jeune, je m’intéressais aux gens qui nous ont précédé, comment ils vivaient, ce qui les passionnait, ce qu’ils pensaient, les événements auxquels ils ont été confrontés. J’avais aussi un intérêt pour les archives et la recherche. Je me posais des questions sur l’origine de notre système parlementaire, le travail, etc. Je demandais même des essais en cadeau.»
«Dans mon album de finissante au secondaire 5, il était déjà écrit que je voulais devenir historienne. Incroyable, quand on y pense! Cela s’est naturellement imposé à moi. J’ai donc tout mis en œuvre pour concrétiser la voie que je souhaitais suivre, et je me suis donc inscrite au baccalauréat en histoire à l’Université Laval.»
Il paraît que tu voues un culte à la série Duplessis de Denys Arcand, et généralement à tout ce qu’ont fait Pierre Gauvreau et Marcel Dubé pour la télévision. Qu’est-ce qui te passionne autant dans ces réalisations?
«Je pense que c’est tout d’abord la qualité des textes de ces trois personnes. De mon point de vue d’historienne, Arcand et Gauvreau ont su admirablement bien rendre une époque de notre histoire. Leurs œuvres sont extrêmement bien documentées, tout en ayant ce petit côté magique qui nous donne l’impression de vivre le passé tel qu’eux l’ont compris.»
«Quant à Dubé, ses téléthéâtres prennent racine et montrent une société québécoise en plein changement, à l’orée puis en pleine Révolution tranquille. Je retrouve chez lui à la fois le tragique et le poétique qui me plaisent. Je pense au Temps des lilas par exemple, une véritable révélation la première fois que je l’ai vu à l’occasion des Beaux dimanches. J’adore son regard sans compromis.»
Ce 14 octobre, ton livre Une histoire de la télévision au Québec est paru aux Éditions Fides. Peux-tu nous dire quel a été le déclencheur de ce projet: en fait, qu’est-ce qui t’a donné envie de faire revivre des moments de bonheur télévisuels à tes lecteurs?
«Cela peut paraître insolite, mais je dirais que l’élément déclencheur est le premier ministre Maurice Duplessis, qui est l’un de mes sujets de recherche depuis plusieurs années. Il la jugeait dangereuse, disant qu’elle dérange d’abord les enfants qui négligent leurs devoirs […], risquent de voir des choses qui ne leur conviennent pas, et éloignent les femmes de leurs cuisines à l’heure du souper.»
«Comme je suis une enfant de la télévision, née en même temps que Passe-Partout, sa position envers un objet de mon quotidien m’apparaissait incompréhensible. C’est d’abord cela que j’ai cherché à expliquer. Puis, j’ai voulu remettre les débuts de la télévision en contexte. De fil en aiguille, je me suis ensuite intéressée aux dramatiques, aux téléthéâtres, aux comédies. C’est une histoire riche et captivante que celle de la télévision, qui permet en même temps de brosser un portrait de notre société et de son évolution.»
Dans cet ouvrage, tu présentes également des artisans phares de la télévision, qu’ils soient déjà bien connus du public (comédiens, animateurs, etc.) ou qu’ils œuvrent dans l’envers du décor – scénaristes, réalisateurs, techniciens, etc. Comment es-tu partie à leur rencontre, et comment s’est passée la récolte d’informations pour pouvoir dresser un portrait réaliste de leur profession?
«Pour moi, il n’y a pas de télévision possible sans ses créateurs et ses artisans qui y oeuvrent depuis près de 70 ans. Il était donc naturel de les mettre en lumière. Il y a rapidement eu des évidences, je pense notamment à des personnalités comme Janette Bertrand ou Bernard Derome. Mais j’en ai également découvert au fil de mes lectures. C’est le cas d’André Le Coz, un photographe de plateau à Radio-Canada.»
«Je trouvais important de pérenniser leur nom et de les faire connaître aux prochaines générations. Pour la recherche, je me suis replongée dans les sources de l’époque, c’est-à-dire des reportages dans Télé-Radiomonde et La semaine à Radio-Canada, ou des entrevues dans différents journaux. Je pense notamment à une belle entrevue avec la toute jeune Kim Yaroshevskaya.»
Imaginons que tout soit possible, y compris remonter dans le temps, sur quel tournage destiné à la télévision aimerais-tu te téléporter, et pourquoi? On veut savoir où tu irais et avec qui tu aimerais jaser, si tu avais cette chance!
«Sans hésitation, j’aimerais me retrouver sur le plateau de tournage du Temps d’une paix, un téléroman que je n’ai de cesse d’écouter et de réécouter depuis 1980. Je discuterais en particulier avec le réalisateur Yvon Trudel et l’auteur Pierre Gauvreau autour d’un café et d’un morceau de sucre à la crème.»
«Je serais curieuse de savoir comment cela a été de recréer la période de l’entre-deux-guerres au Québec; de filmer en extérieur à Charlevoix, puis les scènes intérieures en studio à Montréal; de connaître les choix qu’ils ont dû faire face à certaines contraintes et, bien sûr, de travailler avec de grands comédiens comme Andrée Lachapelle, Nicole Leblanc, Pierre Dufresne, Jacques L’Heureux, pour ne nommer qu’eux.»
«Je pourrais lire la satisfaction sur leur visage de voir les personnages et l’histoire prendre peu à peu vie sous leurs yeux. Je crois que j’aurais aimé simplement parler de la société d’alors avec ces deux personnes d’opinion et d’idées.»