LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Fabienne Roques
Pierre, on sait que tu es diplômé en littérature et en histoire de l’Université de Montréal, et que, depuis 2015, tu donnes des conférences en histoire du Québec et enseignes à l’Université du troisième âge (UTA) de l’Université de Sherbrooke. On est curieux de savoir: quand as-tu commencé à te passionner pour l’histoire en général et, plus spécifiquement, pour celle de notre Belle Province?
«J’ai eu un parcours assez sinueux. Je viens d’une famille avec beaucoup de gens aux parcours intéressants. Ma mère était peintre, ma grand-mère aussi. Mon père était comédien dans une troupe de théâtre amateur. J’ai donc grandi dans un milieu très stimulant, très riche de ce point de vue. Toutefois, même si mon intérêt premier était de raconter des histoires, j’ai toujours eu envie aussi de mieux comprendre le monde autour de moi. J’ai donc poussé ma curiosité à travers les livres. J’y ai découvert des pays, des nations, des idées.»
«Puis, à l’adolescence, comme bien des gens de ma génération, j’ai été très attiré par le Japon. En suivant des cours de japonais et en me faisant des amis japonais, ironiquement, j’ai réalisé à quel point j’étais Québécois. C’est ce qui m’a motivé à mieux connaître notre histoire et notre culture. J’ai ensuite découvert des auteurs comme Jacques Ferron, Gaston Miron, Anne Hébert. Mon intérêt pour l’histoire s’est vraiment confirmé à l’université même si, à travers cette discipline, je me suis attaché surtout à des itinéraires d’hommes et de femmes.»
Dans le cadre de ta maîtrise, tu as consacré ton mémoire à l’étude de l’époque où Maurice Duplessis était premier ministre du Québec, soit de 1936 à 1939, puis de 1944 à 1959. Qu’est-ce qui a piqué ta curiosité pour cette période historique en particulier, et pourquoi, encore aujourd’hui, cet homme politique « demeure l’un des personnages les plus controversés de l’histoire du Québec », selon toi?
«À l’origine, j’ai vraiment découvert la période à travers le parcours de Maurice Duplessis. Si on associe la période 1930-1960 à une sorte de passé misérable et moyenâgeux (comme tout ce qui précède 1960), on ne semble pas avoir retenu tous les bouleversements qu’a connus le Québec durant ces années. J’étais donc curieux de voir d’où provenait le décalage entre le souvenir collectif et la réalité des faits.»
«À travers mes recherches, j’ai agrandi mon champ d’études en replaçant Duplessis dans son contexte social, politique et économique, puis dans une certaine continuité historique. Au sein des différentes œuvres qu’on a consacrées au personnage, j’ai découvert une société riche, complexe, traversée par toutes sortes de courants d’idées, de débats et de personnalités truculentes (dépassant largement Duplessis et l’Union nationale). Tout cela, finalement, m’a amené bien loin de l’espèce de passé pris en bloc monolithique auquel on pense spontanément.»
«Si Duplessis demeure aussi controversé aujourd’hui, au fond, je crois que c’est parce qu’il incarne tout le contraire de ce que l’on aime voir en nous-mêmes. Pourtant, nous sommes bien plus près de lui que l’on pense!»
Ce 2 février, ton essai Duplessis est encore en vie est d’ailleurs paru aux éditions du Septentrion. Dans ce livre, tu retraces son parcours « complexe et controversé » ainsi que l’évolution de son image, de son vivant jusqu’à nos jours. Peux-tu nous dire en quoi tes recherches apportent un éclairage nouveau sur le sujet?
«Mon idée de départ était de tenter de comprendre comment un homme comme Maurice Duplessis a pu être aussi adulé de son vivant, avant de se retrouver aussi détesté (de façon presque unanime) après sa mort. On a écrit beaucoup de biographies, d’œuvres et d’études savantes sur Duplessis depuis 1959. Pourtant, le mythe de la “Grande noirceur” auquel on l’associe est toujours resté bien implanté dans notre mémoire collective. On le sait bien: entre une histoire claire, mais fausse, et une histoire vraie, mais complexe, c’est toujours la première que l’on aura tendance à retenir.»
«Mon livre cherche donc à amener un nouvel éclairage sur Duplessis, en montrant comment ont évolué les points de vue sur lui et son époque, au fil du temps. Pour cela, je me concentre beaucoup sur les biographies écrites par Robert Rumilly et Conrad Black, et sur la série télé écrite par Denys Arcand, en les replaçant dans leur contexte. À travers ce processus, je cherche à explorer notre rapport avec notre mémoire, notre passé. Ce n’est donc ni une réhabilitation du personnage, ni une condamnation, mais une réconciliation que je cherche à faire.»
Cet ouvrage est aussi l’occasion pour tes lecteurs de découvrir des liens – peut-être encore insoupçonnés – entre l’Union nationale et la Coalition Avenir Québec. Voudrais-tu nous donner un exemple ou une piste de réflexion quant à cet aspect que tu abordes au fil des pages?
«C’est vrai que c’est tentant de faire des liens entre l’Union nationale et la Coalition Avenir Québec. Et c’est normal! Au fond, il s’agit de deux partis nationalistes assez conservateurs, et de partis de coalition. Les deux défendent une vision d’un nationalisme plus traditionnel, axé sur la défense des droits du Québec face à Ottawa, mais sans nécessairement remettre en question le lien avec le reste du Canada.»
«Ce sont deux partis que l’on décrit comme les porte-voix des régions hors de Montréal, des petites et moyennes entreprises, et ancrés dans une certaine conception de la société basée sur la liberté individuelle. Peu importe ce qu’on peut penser de la CAQ ou de l’Union nationale, on ne compare jamais la CAQ à l’Union nationale dans le but de lui faire un compliment – c’est même plutôt le contraire.»
«La CAQ reste un produit de notre époque. On ne peut pas dire que depuis 2018, elle nous a ramenés aux anciens systèmes de santé ou d’éducation gérés par l’Église catholique, ou qu’elle a relancé la chasse aux espions communistes. Le contexte exceptionnel de la pandémie limite aussi les comparaisons. Par contre, ce sera intéressant de refaire l’exercice dans 10 ou 20 ans!»
Penses-tu, à court ou moyen terme, sortir un prochain livre en lien avec l’histoire du Québec et, si oui, quel sujet envisages-tu de traiter et pourquoi?
«Je compte poursuivre mon travail dans le même sillon que Duplessis est encore en vie. Bien que l’on ne puisse jamais résumer toute une époque à la vie d’un seul homme, je crois que l’un des meilleurs moyens de retrouver la richesse d’une époque est encore en suivant des parcours individuels. Pour cela, les biographies peuvent être des instruments formidables pour nous aider à mieux comprendre une époque.»
«Dans le cas de l’Union nationale, on connaît très mal les gens qui l’ont composée. La preuve, on ne connaît presque rien sur les ministres de Maurice Duplessis (sauf pour Daniel Johnson et, peut-être, un peu Paul Sauvé). Donc, pour nous éloigner un peu du cliché que l’Union nationale était la créature d’un seul homme, et qu’elle se maintenait au pouvoir uniquement à cause de la cupidité ou de la bêtise des électeurs, j’ai choisi de me concentrer sur le parcours d’un ministre intéressant, peu connu hors de sa région, mais qui mérite certainement notre attention. Il s’agit du ministre de la Chasse et des Pêcheries de 1944 à 1960, Dr Camille-Eugène Pouliot. Un homme admirable!»